Du superbe papier glacé
par Pierre-Emmanuel Lephay
C’est la troisième fois que Philippe Herreweghe enregistre la Messe en Si de Bach, toujours avec les mêmes forces du Collegium Vocale de Gand. Si le premier (1989, chez Virgin) est un peu oublié, le deuxième (1996, Harmonia Mundi) fait, pour certains, figure de référence.
Ce troisième enregistrement (de 2011, chez Phi, le propre label d’Herreweghe) ne marque pas une grande évolution de la conception de Bach par le chef flamand : on retrouve le même esprit, la même dévotion qui semble tenir à distance le grand œuvre du cantor. L’ensemble paraît étonnamment peu habité et même froid par instants. C’est beau, certes, mais cela suffit-il ?
Alors oui, les tempi sont sensiblement plus allants qu’en 1996 et certains numéros s’en retrouvent revigorés, comme par exemple l’Et Incarnatus est mais qui n’acquiert pas pour autant le mystère que savent lui donner d’autres chefs. Il en est de même d’un Et in terra pax qui ne décolle pas. Le changement le plus spectaculaire est cependant un Agnus Dei sortant de sa torpeur d’il y a quinze ans mais où, pourtant, il ne se passe pas grand chose. Séduisant, mais un peu creux.
On gagne en légèreté également, mais cela tourne trop souvent à la joliesse : les phrasés sont de nouveau comme lissés et le discours n’acquiert que bien peu de relief. La distinction entre les premières croches, détachées chez l’un, liées chez l’autre, des deux hautbois d’amour de l’Et in unum Deum est, par exemple, à peine soulignée tandis que le Crufixus, un des rares passages où Herreweghe montre du caractère, perd de l’impact qu’il avait en 1996. Au final, nous avons un Bach contemplatif, superbement joué et chanté mais où l’ennui guette plus d’une fois…
Les chanteurs n’aident certes pas toujours à rester captivé. Thomas Hobbs est un peu fade tandis que Damien Guillon est assez transparent dans l’Agnus Dei. C’est mieux du côté des femmes (dont les voix se marient très joliment dans Christe Eleison) et surtout de Peter Kooij (déjà présent dans le précédent enregistrement) qui signe un Et in Spiritum encore meilleur que quinze ans auparavant !
Orchestre et chœurs sont bien entendu superlatifs, la prise de son de 2011 favorisant moins les trompettes qu’en 1996 mais où les timbales, sourdes, sont toujours un peu trop envahissantes.
Certains apprécieront cet hédonisme melliflu admirablement réalisé, nous préférons pour notre part le discours plus habité d’un Suzuki, d’un Hengelbrock, d’un Brüggen ou mieux, d’un Leonhardt absolument divin qui a signé une intégrale majeure de l’œuvre.
Johann Sebastian BACH
Messe en Si mineur
BWV 232
Dorothee Mields, soprano I
Hana Blazikova, soprano II
Damien Guillon, contreténor
Thomas Hobbs, ténor
Peter Kooij, basse
Collegium Vocale Gent
Direction musicale
Philippe Herreweghe
Enregistré en 2011
2 CD Phi LPH004 – 1h41