Alain Duault n’est pas que le Monsieur Loyal du lyrique à la télé, l’Adam de l’Eve Ruggieri nationale. Passionné, cela va de soi, il a fait du partage de sa passion un métier et on l’envierait presque. Même si son répertoire de prédilection n’est pas étroit, Alain Duault aime avant tout l’opéra populaire, au meilleur sens du terme ; il aime les airs, les cabalettes et les contre-uts, les ténors virils, les soprani au timbre de velours, les mezzos brunes incendiaires… Alain Duault est un amateur d’opéra comme les autres, en quelque sorte ; pas un pinailleur ou un professionnel de la profession ; non, c’est un amateur. Il aime.
Et quand il prend la plume, il le fait de manière extrêmement personnelle, assumant ses goûts, avouant ses fantasmes (localisés pour certains dans les loges de Garnier, si, si (p. 12) et ses émois. Le style, Alain Duault en a, car il est poète, publié dans la Blanche de Gallimard, et depuis des décennies, s’il vous plait ! En le lisant, on l’entend presque déclamer et si sa prose n’est que rarement sobre, maladie qui touche volontiers les écrivains du lyrique, l’ensemble est très attachant.
Son dernier ouvrage, aux Editions Hugo et Cie, est un … duo, avec la photographe Colette Masson qui, dans la même collection avait déjà cosigné, avec Maurice Béjart, un ouvrage consacré à la danse. Une soixantaine d’entrées classées par ordre alphabétique forment une sorte de dictionnaire amoureux et photographique de l’opéra, loin de toute visée encyclopédique ou même pédagogique. Quelques œuvres (Le Ring, la Traviata, Così, Manon, Lulu, Carmen, Tristan), des mythes (Don Giovanni, Orphée), des rôles (Eboli, Charlotte), des artistes (Alagna, Pavarotti, Dessay, Bartoli, Fleming mais aussi Lavelli, Carsen, Chéreau, Sellars…) donnent des entrées conventionnelles ; d’autres sont plus surprenantes, tels les articles sur « la faute », « la mort », « l’énergie », « la puissance »… Les textes, plus ou moins longs, sont bien sentis et présentent les notes ou notules de l’auteur, souvent appuyées sur des anecdotes réjouissantes1. On pourra, bien sûr, regretter l’absence des chefs d’orchestre, le caractère un peu trop franco-français des choix faits, et, ici ou là contester telle ou telle appréciation (l’art du chant de Ruggero Raimondi est étudié et copié (p. 234) ? vraiment ?). Mais la démarche est cohérente et les quelque 320 photos de Colette Masson s’unissent au texte avec bonheur. On y retrouve, non sans émotion, les visages et les décors qui ont rythmé les dernières décennies, en particulier au Palais Garnier et à Bastille, pour le meilleur et parfois pour le moins bon (voyez les illustrations de La Traviata…). L’opéra en province a droit à quelques références, venues en particulier d’Orange, d’Aix-en-Provence et de Caen, au gré des pérégrinations de la photographe.
Alors, pour paraphraser l’auteur, qui très justement indique, à l’inattendue rubrique « Servir », que l’opéra ne sert à rien mais qu’il nous aide à vivre, à quoi sert cet ouvrage ? A passer quelques jolis moments à feuilleter, dans une mise en page moderne et très réussie, ce dictionnaire subjectif et amoureux de l’art lyrique, bâti en duo. Bravo !
Jean-Philippe THIELLAY
1 Celle-ci vaut le détour. Birgit Nilsson, interrogée sur ce qu’il fallait à une soprano pour chanter Isolde, répondit dans un éclat de rire sonore : « Une bonne paire de chaussure ! ».