Voici, avant même d’avoir franchi l’épreuve de l’écoute, un album doté d’un fort capital de sympathie. Deux artistes charmants, charmeurs, chacun dans des tessitures que le disque ne réunit pas souvent – ténor et basse –, mêlent leurs voix en des scènes et duos extraits d’opéras français et italiens : Bizet, Gounod, Boito, Verdi, Donizetti…
L’un, Rolando Villazón, ténor parmi les plus populaires aujourd’hui, personnalité extravertie, joyeuse et généreuse, est apprécié d’un large public, prêt à casser sa tirelire à la lecture seule de son nom. Ses enregistrements se comptent par dizaines, il a écrit un roman autour du cirque, anime une émission sur France Musique, dessine à ses heures perdues. Bref, un génial touche-à-tout et, pour un label discographique, une garantie médiatique non négligeable.
L’autre, Ildar Abdrazakov, se range parmi les basses les plus recherchées du moment. Couronné par de nombreux prix, révélé en 2003 par le rôle-titre de Moïse à la Scala de Milan, il est depuis invité sur les plus grandes scènes internationales dans le répertoire le plus vaste, de Mozart à Moussorgski en passant par Rossini, Verdi, Bizet. Bref, un timbre de vison noir et, pour un label discographique, une garantie artistique appréciable.
Il serait exagéré de parler de longue complicité entre les deux chanteurs. Leur collaboration se limite peu ou prou à Lucia di Lammermoor en 2009 à New York. C’est peu pour développer une relation artistique surtout dans un opéra où la basse et le ténor ont peu à échanger. A défaut, pourquoi ne pas additionner leurs atouts ? Les voies du marketing ne sont pas impénétrables.
Deux bons copains forment-ils pour autant un binôme tel que l’opéra l’exige : non seulement complice et complémentaire en termes de couleurs vocales mais aussi animé d’intentions similaires ? Réponse sans appel dans les duos bouffes de L’elisir d’amore et Don Pasquale. Rolando Villazón y donne cours à son inénarrable fantaisie tandis qu’Ildar Abdrazakov adopte un style d’une sobriété adaptée à une école de chant qui n’est pas celle du cirque.
Les extraits d’opéras sérieux montrent davantage de cohésion, à condition que la basse garde le contrôle de la partition. Gare sinon aux excès expressifs de son compagnon qui a tôt fait de remettre son nez rouge et de tirer le micro à lui tel un chien fou dans un jeu de quilles.
« Granada » et « Ochi Chernye » se veulent un clin d’œil de chacun des deux chanteurs à la nationalité de l’autre. Fausse bonne idée : le programme perd en cohérence ce qu’il ne gagne pas en fantaisie. Le meilleur reste « Son lo spirito che nego » interprété d’une voix orageuse par Ildar Abdrazakov, enfin seul, sous la direction irréprochable de Yannick Nézet-Seguin à la tête de l’Orchestre Métropolitain de Montréal.
« Un matin, dans le duo des Pêcheurs de perles, les deux voix se sont mises à sonner comme de l’or. », raconte le futur directeur musical du Metropolitan Opera, « Les musiciens de l’orchestre m’ont regardé avec un visage rayonnant, on était tous submergés par la beauté de la musique. ». Souhaitons que cette beauté, parcimonieusement éprouvée au disque, nous submerge à notre tour sur le vif, lors d’une tournée prévue notamment le 9 décembre à Paris au Théâtre des Champs-Elysées.