Né au début du XVIIIe siècle dans l’étonnante cité de Matera, dans les Pouilles, Egidio Romualdo Duni débute sa carrière en composant une bonne douzaine d’opéras à succès, la quasi-totalité dans le genre tragique et la plupart, conformément aux habitudes de l’époque, sur les vers de Pietro Metastasio mis en musique par de multiples compositeurs (1). A partir de 1757, le compositeur s’installe à Paris où il vivra jusqu’à sa mort. Il compose son premier ouvrage pour le public parisien, Le Peintre amoureux de son modèle, qui est créé avec succès à la Foire Saint-Laurent. A l’époque qui nous intéresse, cette institution, régentée par les moines de Saint Lazare et qui remonte au Moyen Âge, se déroule tout l’été. La foire est située un peu en dessous de l’actuelle Gare de l’Est, dans des halles en chêne. Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, comédiens, marionnettistes ou bateleurs obtiennent le droit de s’y produire. On y édifie un Préau des spectacles. L’activité des comédiens et chanteurs fait l’objet de chicaneries légales du fait des privilèges (au sens de droits exclusifs) de la Comédie française ou de l’Opéra. Toutefois, moyennant des arrangements financiers, il devient possible d’y produire (du moins jusqu’en 1762), des œuvres mi-parlées, mi-chantée, appelées vaudevilles, comédies mêlées d’ariettes, et qui déboucheront sur l’Opéra-comique. Les encyclopédistes voient également d’un bon œil ce nouveau genre lyrique, plus proche du peuple, et qui fait mentir Rousseau sur l’absence de musicalité de la langue française.
Le Peintre amoureux de son modèle pose les premiers jalons des stéréotypes du genre : ici, le barbon berné et le jeune couple d’amants. Sans être particulièrement mémorable, la musique en est constamment enjouée, agréable, mélange de vivacité et de douceur, avec ce brin d’émotion discrète qu’on retrouvera chez Auber, le grand nom du genre. Les morceaux sont courts (1 à 2 minutes) et nombreux, sans difficultés particulières si ce n’est quelques coloratures pour les dames, et le style évoque lointainement l’école napolitaine tardive avec Cimarosa. Des dialogues parlés alternent avec d’autres déclamés (on pense parfois à du Rameau). L’intrigue se devine aisément : le peintre Alberti est tombé amoureux de la jeune Laurette qu’il choisit comme modèle mais elle lui préfère le jeune Zerbin et l’homme plus âgé renonce sagement. L’ouvrage fleure une époque révolue, rappelons ce temps où les Français passaient pour le peuple le plus spirituel de la Terre. Les Deux Chasseurs et la Laitière sont créés cinq ans plus tard, cette fois au Théâtre-Italien de l’Hôtel de Bourgogne, l’opéra-comique ayant été finalement interdit à la Foire Saint-Laurent (c’est dire si la régulation ne date pas d’hier). La musique de Duni a évolué : elle est moins italianisante, un peu plus sophistiquée, toujours charmante mais, là encore, sans qu’une ariette ne vienne particulièrement frapper l’oreille à la première écoute. L’intrigue combine habilement deux fables de La Fontaine. Guillot et Colas ont dépensé un peu rapidement l’argent qu’ils ont reçu pour une peau d’ours, mais l’animal refuse de se faire prendre. Perrette croise la route des chasseurs et Guillot tente une cour maladroite. Perrette l’écarte, toute à ses pensées de richesse future. Plus tard, elle revient penaude, ayant versé son lait, et accepte la main de Guillot, désormais aussi désargenté qu’elle-même. Le peureux Colas, revenu bredouille, rapporte le conseil que l’ours, toujours vivant, lui aurait glissé à l’oreille : « Va-t-en dire à ton confrère qu’un fol espoir trompe toujours ; et ne vendez la peau de l’ours, qu’après l’avoir couché par terre ».
La distribution est impeccable, notamment dans la prononciation et l’articulation du texte. Bien connu des spectateurs réguliers de l’Opéra de Paris, le ténor Eric Huchet est un Alberti musical et touchant. Le reste de la distribution est composé de jeunes artistes dont on suivra avec intérêt l’évolution de carrière. Rare voix de haute-contre, David Tricou est un Zerbin raffiné, survolant peut-être un peu trop son Colas en revanche. Encore un peu verte, la Jacinte d’Anaïs Yvoz est tout à fait ravissante de légèreté et de brio. En Perrette (et dans le rôle plus anecdotique de Laurette), Pauline Texier fait preuve d’une belle présence, tant musicale que dramatique. Jean-Gabriel Saint-Martin offre un timbre charmeur et une diction parfaite.
La direction vive et précise de Martin Wåhlberg et les sonorités de l’Orkester Nord sont l’autre grand atout de cet enregistrement, imprimant rythme et urgence à ces délicieuses pièces. On notera que l’enregistrement (studio) est émaillé de bruits de scène (chaises qui bougent ou ours qui grogne) qui viennent donner un peu de théâtralité sans pour autant interférer avec les parties musicales.
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A titre d'exemple, hors celle de Duni, on compte ainsi une soixantaine d'Olimpiade (30 dans le seul Dictionnaire Clément-Larousse) signées entre autres par Caldara, Vivaldi, Pergolese, Hasse, Jommelli, Traetta, Cimarosa, Paisiello... Il y eut même une composition incomplète de Donizetti en 1817 !