C’est l’histoire d’un compositeur un peu méconnu, dont on sait qu’il est breton, mais dont on serait bien en peine de nommer une seule œuvre. C’est l’histoire d’une maison de disques audacieuse, entreprenante, qui ressuscite à tour de bras des titres injustement tombés dans l’oubli. C’est aussi l’histoire d’un « pauvre jouvenceau » et d’une « pauvre jouvencelle », contée à la fois par un chœur, par un récitant et par les héros eux-mêmes, dans ce qui ressemble fort à un opéra sans en être vraiment un.
C’est seulement dans sa maturité, après s’être éloigné pendant quinze ans de la composition, que Paul Le Flem (1881-1984) se tourna vers l’opéra, composant pas moins de cinq œuvres lyriques : La Fête du printemps (1937), Le Rossignol de Saint-Malo (1938, créé Salle Favart en 1942), La Clairière des fées (1943, opéra radiophonique), La Magicienne de la mer (1948, échec à sa création en 1954 alors que certains y voient son chef-d’œuvre) et La Maudite (1966-68), ces deux derniers titres étant inspirés par la ville mythique d’Ys. C’est en revanche à sa première période créatrice qu’appartient Aucassin et Nicolette, composé par amour pour celle qui allait devenir son épouse. D’abord interprété chez Pierre Aubry, pionnier de la musicologie médiévale, cet opéra pour ombres chinoises fut créé en public le 11 février 1910, puis mis en scène comme un véritable opéra en 1924. En 1958, l’œuvre fut donnée en concert à la Maison de la Radio avec Georges Delerue à la tête de l’orchestre Radio-Lyrique ; en 1953, elle avait été dirigée par Sibelius, en version finnoise, à l’Opéra d’Helsinki. Plus récemment, on en connaît une interprétation à La Roche-Bernard (Morbihan), en 1999-2000, mais on ne peut pas dire que cet Aucassin et Nicolette soit devenu un pilier du répertoire.
Grâces soient donc rendues à Timpani, qui a déjà enregistré quantité d’œuvres composées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Avec ce nouveau disque, on se rend bien compte que Pelléas et Mélisande fut tout sauf une expérience sans lendemain, puisque Le Flem, grand admirateur de Debussy, reprit à son compte le mode de déclamation inauguré en 1902, en y injectant une bonne dose de modalité et de pentatonisme « celte ». Encore bravo à Timpani qui a su confier la résurrection de cette très belle œuvre à une excellente équipe. A la belle voix grave de Delphine Haidan échoit le rôle du récitant ; on pourrait parfois lui souhaiter une diction plus incisive et plus variée. Stanislas de Barbeyrac, superbe ténor, campe un Aucassin aussi splendide dans l’héroïsme que dans la douceur ; l’exquise Mélanie Boisvert est une très fraîche et espiègle Nicolette. Outre quelques interventions dans le cours de l’œuvre, les Solistes de Lyon, dont on connaît les qualités, ont la charge d’ouvrir le Prologue et de conclure « la noble histoire qu’un jour aux amants l’on dira ». Nicolas Chalvin dirige une formation chambriste (cordes, harpe, piano et orgue) avec la délicatesse qui convient, mais aussi avec l’énergie nécessaire pour éviter toute mièvrerie. Un seul regret : l’œuvre est courte, et l’on aurait aimé un complément de programme, pour prolonger le plaisir de la découverte de la musique vocale de Paul Le Flem. D’autres disques viendront peut-être…