Encore un nouvel enregistrement du Requiem Allemand de Brahms, dira-t-on. Il y a en déjà tant de remarquables ! Or dès le début, cette nouvelle interprétation nous émeut et nous passionne. Dirigée par Ralf Otto elle est d’une grande beauté et tranche sur celles de ses illustres prédécesseurs par une approche plus intime et apaisée. Brahms a toujours revendiqué son appartenance à une longue tradition musicale et se voulait l’héritier de Bach, de Beethoven et surtout de son maître et ami Robert Schumann (le début du Requiem fait songer à Manfred). Ralf Otto à la tête de l’Orchestre Philharmonique de la Radio Allemande s’en souvient tout au long de l’enregistrement. Dès lors l’idée qu’il a eu d’engager le Bachchor de Mayence est judicieuse. Cet ensemble met au service de Brahms une couleur spécifique, d’une grande homogénéité, acquise au contact des œuvres du Cantor de Leipzig. Il est remarquable d’intensité, dans un recueillement permanent, et l’orchestre est à l’unisson.
La gestation du Requiem a été longue et jusqu’au dernier moment Brahms a accordé une grande importance à la sonorité de l’ensemble orchestral. Dès le début de la composition, il avait eu l’idée d’intégrer un orgue, un peu à la manière des bourdons dans la musique ancienne. Par la suite, il a aussi tenu à ce qu’un rôle essentiel soit accordé au contrebasson qui, à ses côtés, donne cette couleur dense et profonde de l’ensemble. D’autre part il a insisté sur l’importance des harpes (même s’il a proposé un « ad libitum »). Ce qui n’était pas fréquent à l’époque. Ralf Otto s’est attaché à respecter ces souhaits de Brahms. Ce n’est pas souvent qu’on entend ainsi les harpes accompagner le chant d’espoir qui débute l’œuvre. Elles contribuent à cet esprit de sérénité face au destin inexorable. De même, le thème enthousiaste de la joie (« und kommen mit Freuden ») est ici tout en retenue, d’un lyrisme lumineux. Le deuxième mouvement, « Denn alles Fleisch...» (Toute chair est comme l’herbe) conserve sa force dramatique de marche funèbre, et Ralf Otto souligne à nouveau la filiation avec Robert Schumann. Plusieurs musicologues précisent que le compositeur a utilisé là le scherzo d’une symphonie inachevée qu’il avait commencé à écrire suite à la tentative de suicide de Schumann.
L’air de baryton « Herr, lehre doch mich, dass ein Ende mit mir haben muss » est de même interprété avec sobriété et ferveur par Matthias Winckhler, excellent interprète de Lieder, dont le timbre clair et la diction rappellent Dietrich Fischer-Dieskau. Le début de l’air est bouleversant comme une prière à peine murmurée. Aucune emphase non plus dans l’air de soprano « Ihr habt nun Traurigkeit » magnifiquement interprété par la soprano autrichienne Christina Gansch dans la grande tradition du chant viennois. L’Orchestre de la Radio Allemande, né de la fusion des Orchestres de Kaiserslauten et Saarbrücken, est magnifique.