On connaît aujourd’hui une douzaine d’opéras de Saverio Mercadante, sur la soixantaine qu’il composa, de 1817 à 1870. Les œuvres de jeunesse respirent évidemment l’air du temps rossinien, on sait également ce que le compositeur des Pouilles pouvait « donner » à l’apogée de la maturité de sa veine créative, avec Il Giuramento, Le Due Illustri Rivali, La Vestale ou Il Reggente. Un style rappelant en effet assez Donizetti et Bellini, mais avec une orchestration savante — la marque de fabrique Mercadante— et une inspiration… discontinue. On découvrit avec stupeur comme il intégrait certains « verdianismes » dans sa Virginia de 1851… mais il nous restait à constater comment il composerait après la trilogie verdienne, et ce Pelagio, dernier opéra achevé par le maestro, fut créé la même année que Simon Boccanegra !…
La comparaison est audacieuse, car Mercadante reste Mercadante ! C’est-à-dire que malgré un environnement verdien des plus originaux, il donne son maximum, pour ainsi dire, dans son opéra ultime, en demeurant fidèle à son style, à ses « tics »… On les retrouve dès le choeur initial, avec ces grandes envolées verdiennes ou ces brusques passages forte/piano, ces bizarres charges orchestrales finales… On retrouve également ses attentes déçues, lors d’un air soigneusement préparé et introduit… (accompagnement ondoyant de violons, harpe, coloration de langueur et douleur romantiques) …et l’intérêt retombe car l’inspiration ne suit pas… On s console avec la sincérité de Mercadante à mettre paroles et situations en musique et l’on prend un réel plaisir à l’audition de ces façons de faire, certes convenues, mais correspondant à une esthétique chère, que le passionné du genre romantique italien ressent profondément en lui. Le frisson nous parcourt régulièrement, comme à ces montées en tempo de valse (le duo soprano-ténor du premier acte), même s’il retombe parfois (la stretta du même duo, quelconque au niveau de l’inspiration mélodique —c’est cela Mercadante !).
L’on ne s’attardera pas davantage sur la musique ni sur l’intrigue, qui feront l’objet d’un prochain dossier sur le compositeur et son dernier opéra. Il suffit ici de savoir que la malheureuse héroïne se trouve déchirée entre son père et l’ennemi arabe de ce dernier, qu’elle va épouser afin d’obtenir sa clémence pour ses compatriotes espagnols. C’est l’éternel conflit-amour père-fille, trop souvent assimilé à Verdi dans l’opéra italien, alors que bien de vibrants et saisissants exemples précédèrent ceux du grand Compositeur de Parme, comme L’Esule di Roma, Belisario, Adelia, Maria Padilla, Linda di Chamounix pour Donizetti (ayant exploré également les rapports père-fils !), ou Virginia pour Mercadante.
Pelagio fut d’abord repris au début du mois de septembre 2005, en concert, précisément en cette Gijón où est située l’action, une ville de la principauté des Asturies, plus importante en population que la capitale Oviedo. La statue du premier roi des Asturies domine le port de sa ville, et son nom espagnol de Pelayo est le symbole de la reconquête, au VIIIe siècle, des terres espagnoles alors sous domination mauresque. Si la reprise de Gijón affichait une distribution tout à fait à la hauteur, elle était affligée des coupures des reprises da capo et, chose plus grave, du largo du Finale III°, ainsi invraisemblablement amputé.
Le personnage de Pelagio (en français Pélage) donnant son nom à l’opéra est Costantino Finucci, baryton au timbre noir et rocailleux, offrant une fort belle ligne de chant, avec un legato épousant avec grâce les élégantes cabalettes de Mercadante qui lui vont comme un gant.
Bianca est Clara Polito, véritable soprano dramatique d’agilité, au timbre limpide mais chaleureux, pulpeux mais velouté, et ne connaissant jamais de dureté à l’intensification du chant. On apprécie son grave consistant, les reflets un peu vert-cuivré à la Angeles Gulín de son bas-médium, son art des vocalises : une Artiste complète. Son répertoire, comportant huit rôles de Donizetti et six de Bellini, se fait comme une spécialité des rôles du Romantisme italien : à Catane en 2007, elle participe à un concert d’hommage à Giovanni Pacini en l’honneur du cent quarantième anniversaire de la disparition du compositeur romantique. On faisait luire pour l’occasion sa Stella di Napoli créée au Teatro San Carlo de Naples en 1845 : la qualité de la musique et l’interprétation de Clara Polito firent une telle impression que la presse augura une reprise de l’opéra complet par le glorieux Teatro Bellini de Catane.
Le ténor Danilo Formaggia possède un assez beau timbre chaleureux et son interprétation est expressive. Il est d’autant plus dommage que lorsqu’il donne plus d’intensité dans l’émission, il lance des sons « ouverts » franchement désagréables.
Les rôles secondaires sont bien tenus, et l’habituel « Coro Slovacco di Bratislava » se révèle efficace.
Le chef Mariano Rivas, pionnier de la reprise de Gijón, sait trouver le juste rythme, laissant respirer la musique, fleurir la poésie des romances et vibrer les vigoureuses « strette » finales, jouant ainsi le jeu des conventions du Romantisme : un côté théâtral-brillant un peu “m’as-tu-vu”, mais retouché d’une pointe charmante de naïveté et sincèrement passionné.
Si l’on ne crie pas au chef-d’œuvre, on éprouve néanmoins un grand plaisir à savourer — je pèse mes mots — ce Pelagio, tout entier parcouru du frisson du Romantisme italien. Plus qu’un charmeur comme Donizetti et Pacini, Mercadante est maître de l’art des façons de faire, il est un habile faiseur sachant créer l’atmosphère et parfois trouver la mélodie qui touche vraiment.
Ce coffret est donc destiné en droite ligne aux nostalgiques du melodramma, ce fabuleux opéra italien des années 1820-60, désolés de n’avoir pratiquement plus de Donizetti à découvrir et pas assez de Pacini !…
Yonel Buldrini