Voilà un hommage discographique à Luciano Pavarotti qui présente l’avantage de proposer une approche originale. Non plus airs, mélodies ou chansons napolitaines alignés comme des quilles dans un bowling mais duos, trios et autres ensembles extraits d’opéras captés sur le vif. Autant dire qu’on flirte avec l’histoire car les enregistrements choisis, vingt-deux au total, appartiennent à des soirées légendaires. Encore pour les apprécier, faut-il savoir de quoi l’on parle. La notice qui accompagne le coffret de deux CD s’avère d’une indigence proche de l’amateurisme. Le numéro de la piste, le compositeur, l’ouvrage, le titre, un point c’est tout. Pour le nom des interprètes et la date de la captation, il faut s’en remettre à son oreille et au catalogue du label, Opera d’Oro, qui propose quelquefois l’enregistrement intégral des soirées en question. Bien savant par exemple qui saura, parmi les deux mêmes duos de Rigoletto au programme (« è il sol dell’anima »), lequel fut dirigé à Florence en 1966 par Carlo Maria Giulini ? Dans les deux cas, le rayonnement vocal de Pavarotti est sans égal et Renata Scotto, imprégnée du modèle Callas, compose une Gilda d’une intelligence rare mais, dans le deuxième extrait, le ténor se prend les pieds dans le contre ré bémol final (qu’il n’était pas obligé de faire) alors qu’il est dans le premier d’une justesse insolente. Les géants ont aussi certains soirs leurs défaillances.
Autre insuffisance, la prononciation du français. « Quoi! Vous m’aimez ?… » de La Fille du régiment s’en trouve disqualifié, d’autant que la Marie de Joan Sutherland est, on s’en doute, encore moins idiomatique que son colossal partenaire. Date de l’enregistrement ? Mystère et boule de gomme. A Milan, en 1969, le ténor a la bonne idée de préférer Manon de Massenet en italien. A ce Des Grieux d’une fougue animale, Mirella Freni offre une réplique dont on apprécie la juste réserve si on la resitue dans le contexte dramatique de l’œuvre. Toujours en 1969, dans La Bohème, la soprano italienne est évidemment une des seules Mimi à ne pas se laisser dévorer par un Pavarotti plus ogre que de raison. 1969, année décidément érotique, si l’on écoute les fragments luxurieux d’I Puritani dans lesquels on retrouve avec plaisir Freni et Bruscantini (Marcello dans La Bohème précitée). Pavarotti s’y montre irrésistible de souffle et de ligne dans une partition qui pourtant ne le calcule pas. L’aigu est radieux et l’on enrage que la prise de son donne l’impression que la soirée se déroule dans une grotte.
La qualité sonore de ces enregistrements, d’une manière générale, est un élément à prendre en compte avant de se précipiter dans un investissement que les amateurs de haute-fidélité pourraient regretter. C’est là, plus que l’absence de documentation déjà signalée et la composition désordonnée du programme, le principal handicap de cette compilation. Le reste est éblouissant. Achevons le passage en revue. La confrontation avec Giacomo Aragall, Roméo dans I Capuleti e i Montecchi en 1966, époque où l’on confiait le rôle à un ténor, justifie cette entorse à la volonté de Bellini. Impossible de départager les deux duellistes tant ils offrent l’un et l’autre un chant dont l’intensité, électrisante, n’opère pas au détriment de la beauté. Lucia di Lammermoor en 1967 à Turin vaut également par la conjonction d’un Pavarotti solaire et d‘une Scotto qui, à l’inverse, privilégie des tonalités lunaires, pour autant que l’on puisse en juger à travers l’écho sonore. On retrouve la soprano aux côtés de Marylin Horne et de Nicolai Ghiaurov dans le Kyrie Eleison du Requiem de Verdi dirigé par Claudio Abbado à Rome en 1970. Le chef d’orchestre se charge d’insuffler à ce banquet divin un élan spirituel que les chanteurs auraient tendance à oublier, trop occupés à faire valoir leur splendeur vocale. Le frisson religieux, cette conviction de l’existence de Dieu qui parfois peut pénétrer, c’est dans l’extrait d’Idomeneo en 1964 qu’on l’éprouve. Pavarotti, en Idamante, rejoint dans la même inspiration l’Ilia angélique de Gundula Janowitz et l’émotion submerge. Quinze ans plus tard, à Milan, le timbre du ténor, face au Dulcamara de Paolo Montarsolo et à l’Adina pétillante de Mirella Freni (si l’on se réfère au catalogue d’Opera d’Oro mais l’on n’en mettrait pas sa main à couper), n’a rien perdu de son éclat dans un Elisir d’amore qui, à en croire les rires dans la salle, valait autant par ses qualités théâtrales que musicales. Détail qui nous rappelle à juste escient que Luciano Pavarotti n’était pas seulement le plus grand ténor du monde mais aussi, sur scène, un interprète à part entière.
A passion for Pavarotti