C’était il y a exactement un an, la soirée de toutes les premières à Garnier : première Mireille à l’opéra de Paris, presque 150 ans après sa création ; prise de rôle d’Inva Mula ; et inauguration de la première saison de la direction de Nicolas Joel dans la grande maison. Ce choix de programmer le chef d’œuvre de Gounod, largement méconnu en France, avait valeur de manifeste, notamment pour rendre ses lettres de noblesse au grand opéra à la française, dans le premier théâtre du pays, et en programmant des chanteurs francophones confirmés ou en début de carrière. Le double DVD édité par Fra musica et par l’Opéra de Paris permet de revivre cette soirée qui avait été diffusée en quasi direct par le service public de la télévision1.
Le produit est de belle qualité et les interviews intéressantes – en particulier celle de Christophe Ghristi, le dramaturge de l’opéra – qui figurent en bonus soulignent la place de cette œuvre dans l’histoire de l’opéra. Pour la première fois, le merveilleux, le surnaturel, les princes et les histoires chevaleresques cédaient la place à des sans grades, des ruraux du Sud de la France. Depuis cette date, et il serait curieux que cela ne relève que du hasard, d’autres maisons d’opéra et des festivals ont décidé de programmer Mireille. Tant mieux !
La décision de Nicolas Joel d’assurer la mise en scène de cette première, contraire avec ce qui avait été annoncé au moment de sa nomination, était courageuse et risquée. Le sort a voulu que son travail soit très sérieusement perturbé et qu’il soit empêché de participer autant qu’il l’aurait voulu à la préparation de se ses artistes. Le résultat, sur scène, s’en est quelque peu ressenti. Si les décors, les costumes et les lumières (La nuit de la Saint-Jean au début du IV !) forment un écrin de très grande qualité, les acteurs n’évitent pas certaines caractérisations à la limite de la caricature. Taven et Ourrias dans leur carriole, Vincenette et ses airs effarouchés… tout cela manque un peu de vigueur et de modernité. Cela ne justifiait évidemment pas les sifflets scandaleux qui ont accueilli Nicolas Joel le soir de la première, sifflets coupés au montage du film… ce qui rend très curieux le geste ironique du directeur, la main sur l’oreille, resté dans les mémoires et qui, lui, y figure bel et bien.
Le plateau a été réuni par un grand connaisseur des voix : Inva Mula, bien connue du public français, est extrêmement attachante en Mireille et elle assume crânement ce rôle impossible dont les accents changent du tout au tout d’un acte à l’autre. La scène de la Crau, chantée seule devant un rideau éclaboussé de soleil, démontre que le rôle n’est pas éloigné de ses limites, mais l’ensemble est de très haut niveau et force d’admiration. Son Vincent, le ténor américain Charles Castronovo, qui avait débuté sur la scène de l’opéra en Nemorino, est proche de l’idéal : sa voix très particulière, avec une émission souvent curieuse et qui se rétrécit malheureusement dans l’aigu, incarne bien la jeunesse et il phrase avec goût son excellent français. Franck Ferrari, homme à tout faire à l’opéra de Paris, avant, pendant et sans doute après le mandat de Nicolas Joel, est le méchant Ourrias et cela se voit. Son instrument est digne d’intérêt, mais un peu moins de coups de menton et de gueule ne nuirait pas à la conduite de la ligne vocale. Dans la scène du passeur et la mort d’Ourrias, la sincérité de l’artiste, avec ses forces et ses faiblesses, emportent la conviction. Belle prestation de Sylvie Brunet dans le mystérieux rôle de Taven. Le reste de la distribution est à saluer, à commencer par Alain Vernhes, fatigué mais toujours là, et Sebastien Droy, charmant Andreloun. Anne-Catherine Gillet chante fort bien… mais abuse des mimiques permanentes de Micaela, Vincenette et autres nunuches du répertoire.
Le chœur, qui joue un rôle majeur dans l’œuvre, démontre de belles qualités, en particulier grâce au travail réalisé par Patrick-Marie Aubert arrivé à sa tête, en provenance du Capitole2. Le récent Vaisseau fantôme donné à l’opéra en ouverture de la saison 2010-2011 permet aujourd’hui de mesurer, déjà, les progrès accomplis ces douze derniers mois.
Dans la fosse, Marc Minkowski, tombé amoureux de la partition, a été le partenaire idéal de Nicolas Joel dans cette entreprise. Il apporte son lyrisme et ciselle les détails picturaux de la partition. On relève en particulier la qualité des bois.
Sauf erreur3, cette captation ouvre la vidéographie de Mireille. Historique donc, elle l’est à plusieurs égards, par-delà même ses qualités intrinsèques.
Jean-Philippe Thiellay
1 Cf. le compte-rendu de Marcel Quillevéré
2 Le DVD permet de porter attention à un point qui dépasse le détail : avez-vous déjà vu un chef de chœur saluer le public avec ses troupes, avec autant de tenue ?
3 Des extraits avec Pierrette Alarie et Leopod Simoneau, de 1957, figurent sur un DVD paru chez VAI en 2006