Curieux choix que celui de la maison Ellipses, plus connue pour éditer des ouvrages universitaires utilitaristes (Ah, L’introduction au droit en QCM !) que pour leur apport à la vie lyrique, de publier cet ouvrage, mi-essai, mi-recueil de fiches techniques sur douze œuvres lyriques, pas une de plus.
L’idée d’Elisabeth Brisson, historienne de formation, en vaut une autre : faire découvrir le monde de l’opéra par les mythes à la formation desquels les douze œuvres lyriques choisies ont puissamment contribué selon elle. En effet, comme l’écrit Baudelaire, dans on article consacré à « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris » (p. 422) : « Dans le mythe, les relations humaines dépouillent presque complètement leurs formes conventionnelles et intelligibles seulement à la raison abstraite ; elles montrent ce que la vie a de vraiment humain, d’éternellement compréhensible, et le montrent sous cette forme concrète, exclusive de toute imitation, laquelle à tous les vrais mythes leur caractère individuel, que vous reconnaissez au premier coup d’œil ». Soit.
Pour l’auteur, qui avoue immédiatement ne pas prétendre à l’exhaustivité (malgré 742 pages, il est vrai imprimées gros), Orphée (celui de Monteverdi, ici), Don Juan, La Flûte enchantée, Fidelio, la Traviata, Tristan et Isolde, Boris, Carmen, Tosca, Pelléas et Mélisande, Barbe-bleue et Wozzeck permettront à l’amateur de découvrir ce qui fait le mystère de l’opéra, mélange parfait de théâtre et de musique, avant tout par la force de la voix. Ces choix sont subjectifs et on ne les discutera donc pas. Otello, Figaro, Guillaume Tell, Butterfly, Lady Macbeth entre autres auraient pu se porter candidats, mais ce sera pour une autre fois.
Chacune des œuvres choisies est passée au filtre qui fait la ligne de l’ouvrage, plus ou moins en profondeur car, et c’est là que le bât blesse, l’analyse tourne court pour céder la place à de curieuses fiches techniques stéréotypées (Présentation de l’œuvre/Biographie du compositeur/Contexte et livret/Accueil et héritage artistique/Contribution à l’histoire, sauf pour Le Château de Barbe Bleue, expédié en 10 pages). On n’est déjà plus si loin du QCM ! Quelques bonnes idées méritaient sans doute mieux, comme la place du « cri » dans les drames lyriques ou la diversité des analyses et des mises en scène que les opéras « mythiques » peuvent appeler : il y avait là une mine à explorer, y compris en multipliant les références aux mises en scènes historiques (Mahler et Strauss sont mis à contribution pour Don Giovanni… mais c’est réglé en trois lignes !).
Certes, les chapitres baptisés « Approche musicale » ne sont pas intéressants par leur description, savante mais pas trop, du rapport entre la musique, analysée partition en main, l’écriture pour la voix et l’action, dans le style de la collection Avant-Scène Opéra bien connue et si appréciée ; les citations de livrets, en langue étrangère, sont exactes et on peut en savoir gré à l’auteur ; les références aux bons auteurs sont nombreuses et pertinentes.
Mais plusieurs concepts sont employés de manière très contestable, tel le bel canto mis à toutes les sauces (si l’on peut dire que l’influence belcantiste est encore sensible dans les opéras de jeunesse de Verdi, peut-on sérieusement écrire que le maître de Busseto est « habile dans le maniement du bel canto » (p. 321) ou qu’il a « créé un type de voix entre basse et ténor », type illustré par … Luna et Germont ? (p. 352). Les références discographiques et autres « célèbres interprétations » sont ineptes et imprécises, ce qui est gênant pour une historienne : on apprend ainsi que la diffusion de « Die Zauberflöte » est « assurée par les représentations d’opéra, les enregistrements, les DVD, les marionnettes de Salzbourg, des films et des bandes dessinées » (certes pas par la télévision, NDLR !) et que « quelques grandes voix ont contribué à sa diffusion » : Wilhelmine Schröder-Devrient et Natalie Dessay (!). Quant à Violetta Valery, c’est simple, il n’y en a eu qu’une au XXe siècle… jusqu’au film de Zeffirelli (« grand succès qui fit couler beaucoup de larmes »). Enfin, la bibliographie raisonnée en fin d’ouvrage semble bien incomplète.
Tout n’est pas à jeter et on pourra, à l’occasion, se reporter à l’analyse de telle ou telle œuvre, avant d’aller au spectacle. Du moins s’il s’agit d’une des douze œuvres choisies. Mais à ne pas choisir entre dictionnaires et essai, Opéras mythiques manque son objectif. Dommage car il y avait de l’idée.
Jean-Philippe Thiellay
Réagissez à cet article, votre commentaire sera publié