Dans la deuxième moitié du 19e siècle, certains compositeurs français tentent de desserrer l’étau wagnérien en puisant leur inspiration à d’autres sources. L’Espagne, contrée exotique et pourtant familière, apparaît alors comme l’exact contrepoison aux éthers germaniques. « Cette autre musique me semble parfaite. Elle est légère, souple avec tact. Elle est aimable, ne sue pas. […] Elle est riche. Elle est précise. Elle construit ainsi l’antithèse de ce véritable polype musical, de la mélodie infinie », écrit Nietzche à propos de Carmen. Dans le sillage de Georges Bizet, des musiciens français – Lalo, Chabrier, Massenet… – empruntent aux traditions musicales ibériques ses rythmes et ses couleurs pour inventer un folklore d’autant plus fantasmé que bon nombre d’entre eux n’ont jamais traversé les Pyrénées.
Par un classique retour de balancier, Paris accueille au début du 20e siècle une génération de compositeurs espagnols venus faire leurs classes et chercher la gloire dans ce qui est alors la capitale de la musique. Isaac Albéniz est le porte-drapeau de cette nueva escuela. Outre une œuvre considérable pour piano, celui qui, catalan, aimait affirmer « je suis maure » laisse une dizaine de cahiers de mélodies encore empreintes de romantisme. Au contact de Fauré, Debussy, Ravel et quelques autres, le langage de ses compatriotes s’enhardit. Si les mélodies de jeunesse de Manuel de Falla (1876-1946) adoptent encore une tournure simple, celles d’Enrique Granados (1867-1916) osent de nouvelles harmonies, sans renier pour autant leurs origines ibériques. Dans son Poema en forma de canciones, Joaquín Turina (1882-1949) renoue avec la mélodie populaire. Né et mort à La Havane, Joaquín Nin (1879-1949) use de son érudition musicale pour écrire dans un style ancien ses Quatorze Airs espagnols. Federico Mompou (1893-1987) pousse l’épure un cran plus loin ainsi qu’en témoigne la simplicité religieuse de son Combat del somni.
Ce sont ces influences réciproques et cette quête identitaire que parcourt Géraldine Casey dans son deuxième album, intitulé en toute logique ¡ España !. Soprano colorature familière des rôles de Lakmé et de la Reine de la nuit, cette élève de Tania Gedda (la fille de Nicolai) offre à ces canciones sa musicalité et un timbre inhabituel dans un répertoire habituellement dévolu à des voix plus ambrées. Là se trouve ce qui fait la faiblesse ou la force de l’enregistrement, selon que l’on aime les fruits plus ou moins murs. En un jeu d’une grande rigueur rythmique, dont l’ascèse convient particulièrement à Mompou, Philippe Barbey-Lallia ne cède jamais à la facilité, pourtant tentante, du folklore.