L’image finale nous montre Cenerentola seule au milieu de ses seules confidentes, les souris : tout cette histoire de prince charmant ne serait donc qu’un songe de jeune fille ?
La production haute en couleur militerait pour cette interprétation. On est ici dans un dessin animé de Walt Disney, mélange de Cendrillon et d’Alice au Pays des Merveilles. On y croise donc des souris mutines, des couleurs acidulées type « cartoon » (perruques jaune et rose fluo pour les sœurs de Cendrillon), des costumes aux formes baroques. Burlesque à souhait lorsqu’il s’agit de dénoncer les ridicules de la famille de Cenerentola, la mise en scène de Joan Font sait se faire émouvante pour accompagner les tourments d’Angiolina, rendant ainsi pleinement justice au ton doux-amer de l’opéra.
Le plaisir des yeux est malheureusement tempéré par une réalisation quelque peu erratique… On a parfois l’impression que le réalisateur ne sait trop où pointer la caméra. Ainsi le ballet incessant mais jamais envahissant des souris – ici véritables protagonistes de l’intrigue – passe le plus souvent inaperçu. C’est l’unité du spectacle qui en souffre surtout. Puisque nous en sommes aux récriminations « techniques », on notera, malgré le découpage en deux DVDs, l’indigence des bonus, limités à deux courtes interviews des deux principaux interprètes… Un peu chiche tout de même !
Heureusement une part de rêve nous est réservée par le cast de luxe réuni à Barcelone. A tout seigneur tout honneur, le Prince de Juan Diego Florez fait un triomphe mérité. Sa voix de ténor de grazia rossinien est idoine pour le rôle. Séduction du timbre, aisance de l’aigu, souci de la nuance, tout y est, n’en jetez plus ! Même l’acteur ferait mentir sa réputation de retenue. Un régal de virtuosité qui culmine dans son grand air du deuxième acte, renversant. La science des demi-teintes c’est aussi ce que l’on admire chez sa partenaire, Joyce DiDonato. Comme elle l’explique dans la mini interview accompagnant le DVD, la fréquentation régulière du rôle lui permet aujourd’hui d’oublier les chausses trappes techniques (nombreux, et pas seulement dans le feu d’artifice final, cumulant sauts d’octave, roulades, trilles…) pour se concentrer sur de l’expression : c’est réussi car au delà de la performance vocale, bluffante, c’est bien la douce mélancolie du personnage que l’on retient ici. On se permettra simplement un petit bémol quant au timbre un peu mûr de la chanteuse, qui retire une certaine fraîcheur à la jeune fille…
Les autres rôles, tenus pour la plupart par des artistes espagnols, ne sont pas exactement au même niveau d’excellence, mais sans démériter pour autant. Parmi les non locaux, Bruno De Simone, Don Magnifico parfait comédien, manque un peu de rondeurs… C’est également un certain manque de couleur qui pourrait être reproché à l’Alidoro de Simon Orfila, qui par ailleurs possède une technique bien rodée. La direction enlevée de Patrick Summers pousse parfois le Dandini de David Menendez dans ses retranchements quand l’écriture se fait plus virtuose, mais, en scène, il est tout simplement irrésistible… Son arrivée, déguisé en prince, est un mélange parfait de morgue et de bouffonnerie ! Et son léger cheveu sur la langue ajoute encore au côté loufoque. Enfin, les deux sœurs, Cristina Obregón et Itxaro Mentxaca, un rien astringentes, possèdent également la folie nécessaire aux deux harpies.
Ce n’est peut-être qu’un rêve… mais qui prend une place de choix dans une vidéographie de l’œuvre, malgré une réalisation imparfaite et des challengers de taille (dont l’incontournable Cecilia Bartoli).
Antoine Brunetto
(1) Nous en profitons pour signaler à nos lecteurs la parution du nouveau numéro de l’Avant-Scène consacré à La Cenerentola incluant comme d’habitude une discographie commentée plus que complète.