Mais si, tout va très bien, et vous saurez tout sur Faites vos jeux, La Vie musicale dans les casinos français du XIXe au XXe siècle en lisant les actes du colloque qui s’est déroulé en 2021 au musée Villa Montebello de Trouville-sur-Mer, et qui viennent d’être publiés. Organisé par le Centre de musique romantique française, le Palazzetto Bru Zane, l’Université Paris-Saclay-Évry, ainsi que la MSH Paris-Saclay, cette réunion académique s’attaque pour la première fois à un sujet nouveau car encore trop peu étudié. Certes, vous n’y trouverez pas l’histoire de la création des casinos par Napoléon en 1804 pour lutter contre les tripots clandestins, mais néanmoins un rappel de l’origine de ce mot, et des lois qui en ont pérennisé l’existence et normalisé les règles, n’autorisant l’ouverture de tels établissements que dans les villes thermales et balnéaires. L’une de ces lois rejette même les casinos à plus de 100 km de Paris, avec une seule dérogation pour Enghien-les-Bains, en 1931.
À l’origine de la vie musicale des villes thermales et des casinos était le fait – peut-être aussi la nécessité – de devoir distraire les hordes de curistes qui venaient se soigner et se pavaner, et qui non contents de se faire plumer aux jeux de hasard, étaient prêts à dépenser sans compter pour leurs distractions. La musique et l’opéra ont joué dans ce domaine un rôle primordial qui se devait d’être souligné, car dès la seconde moitié du XIXe siècle, les casinos utilisent les spectacles pour fidéliser la clientèle, ou tout simplement l’attirer, en tous cas contribuer à l’occuper pendant des séjours qui souvent étaient assez longs, pouvant atteindre plusieurs mois. C’est ainsi que l’opéra, l’opérette, tous types de musiques y compris le music-hall et les variétés, s’installent durablement dans des lieux cossus aux architectures ostentatoires, jusqu’à ce que les remboursements par la Sécurité sociale modifient les classes sociales de curistes et donc les demandes en matière de spectacles : à partir des années 1970, la musique classique et l’opéra doivent laisser la place à de nouveaux types de divertissements.
Le sujet est alléchant, mais évidemment, on sait que les actes d’un colloque ne donnent jamais une synthèse transversale, mais des articles approfondis sur quelques sujets choisis en fonction des orientations de recherche d’une équipe pluridisciplinaire, menée en l’occurrence par Martin Guerpin et Étienne Jardin. Et qui forcément ne couvrent donc ni tous les lieux ni tous les sujets. À plus forte raison lorsque les 558 pages de ce fort volume vous entraînent sur des chemins qui s’éloignent souvent du domaine strict de l’opéra. Mais vous êtes également susceptibles d’y découvrir avec ravissement les spectacles de danse, de variétés (Johny But), la vie d’un pianiste de casino, Proust, les liens avec le cinéma, le jazz à Vichy de 1918 à 1941, ou encore le rock dans les casinos normands de 1960 à 1980… On apprend également avec amusement qu’il arrivait parfois que plusieurs orchestres jouent en même temps dans les jardins publics à quelques dizaines de mètres les uns des autres, générant une réjouissante cacophonie.
On trouvera donc dans ce livre nombre de pépites passionnantes. Pour revenir à l’opéra, nous y avons glané quelques éléments susceptibles d’intéresser les amateurs du genre, à travers des approches thématiques variées. Dans le domaine de l’architecture, on note les étonnantes salles de spectacles, théâtres ou salles des fêtes (Sandrine Dubouilh). En ce qui concerne la programmation, on n’est guère surpris de constater que celle-ci est calquée sur les succès parisiens et les œuvres les plus à la mode. Avec des moments très particuliers, comme cette Tétralogie donnée à Vichy en 1935 (Yannick Simon). La « qualité », imposée pour obtenir des dégrèvements fiscaux, permet de générer des bénéfices, à condition toutefois qu’une partie en soit reversée à des œuvres d’intérêt général. Mais bien évidemment, les questions de rentabilité restent au cœur du sujet (Théophile Bonjour et Guillemette Prévot). Les plus grands chefs d’orchestre et chanteurs lyriques ont ainsi participé de cette recherche de haute qualité en se produisant dans les villes d’eau (Marie-Claire Mussat).
Enfin, deux articles importants sont plus directement liés à l’opéra : « Miser sur Mozart au Casino d’Aix-en-Provence : la naissance d’un festival au lendemain de la Seconde Guerre mondiale » (Apolline Gouzi). On voit dans ce type d’article scientifique le fossé qui sépare le côté archivistique du côté « vécu » qui aurait encore pu être recueilli auprès de survivants de cette époque : le côté merveilleux, irréel, exceptionnel des représentations en plein air de la cour de l’Archevêché, sous le platane et le ciel étoilé, bref l’émotion d’un rêve nourri de distributions exceptionnelles inconnues des spectateurs parisiens, accessible jusqu’à la fin des années 60, n’est pas du tout perçu ici. Enfin, le rôle de la regrettée Josette Alviset, que l’on a tous bien connue, dans la création (et le sauvetage) du fonds d’archives du musée de l’Opéra de Vichy, est rappelé par Fabien Noble.
Donc au total, un volume réunissant les recherches de nombre de spécialistes éminents et particulièrement compétents, complété par une importante bibliographie et un index conséquent. On regrette toutefois que la richesse de l’iconographie noir et blanc soit maltraitée par une photogravure grisailleuse et bouchée, sur un papier au trop fort indice de transparence. Et que le prix (45 euros malgré des subventions) risque de détourner nombre de lecteurs potentiels, réservant l’ensemble aux bibliothèques spécialisées et aux amateurs les plus fortunés.