Ce récital est le premier qu’enregistre le jeune contre-ténor roumain Valer Barna-Sabadus, déjà entendu dans le disque « Baroque oriental » (voir recension). Depuis ses débuts à l’opéra en 2007, dans le rôle-titre de Rinaldo, qu’il a également interprété au Festival Haendel de Halle en juillet 2011, il se produit surtout en Allemagne, mais on pourra l’entendre à Aix-en-Provence en 2013 dans la recréation de l’Elena de Cavalli, et surtout, très prochainement, dans Didone Abbandonata de Hasse, à Versailles.
Justement, le programme du disque retient quatre des nombreux airs confiés dans cet opéra à Iarba, le terrible roi des Maures assoiffé de vengeance, qui se fait passer pour un simple émissaire sous le nom d’Arbace. A la fin du premier acte, « Tu mi disarmi il fianco » s’adresse à la fois à Didon et à Enée, alors que le personnage vient de démasquer sa véritable identité. Au début du deuxième acte, « Leon ch’errando vada » est un de ces airs de comparaison où le chanteur évoque le comportement du lion qui sait épargner un agneau pour mieux se déchaîner lorsqu’il rencontre un tigre (comme le célèbre « Stà nell’ircana » de l’Alcina de Haendel). A la fin de ce même acte, « Chiamami pur così », avec ses brusques sauts d’octave, exprime toute la fureur du Maure éconduit par la reine. Au dernier acte, dans « Cadrà fra poco in cenere », Iarba prédit en toute sérénité la chute inéluctable de Carthage qu’il s’apprête à incendier.
Dans ce rôle créé par Venturo Rocchetti, premier castrat soprano de la cour de Dresde, Valer Barna-Sabadus offre une voix très agile, agréable, pleine de délicatesse, mais parfois à la limite de la fragilité. L’extrême-aigu sonne souvent très mince, et le timbre n’est pas sans rappeler celui d’un autre sopraniste venu des pays de l’Est, Jacek Laszczkowski, avec les qualités et les défauts propres à ce type de voix. On aimerait un peu plus de corps, même si le grave est effectivement peu sollicité dans ces partitions.
De vingt années postérieure à Didone, la cantate La Gelosia inclut deux airs, dont un aria di paragone extrêmement virtuose, « Giura il nocchier », et un beau récitatif accompagné. En complément de programme, un air écrit par Porpora pour un pasticcio donné à Londres d’après l’Artaserse de Hasse. Valer Barna-Sabadus aborde ainsi le répertoire de Farinelli en personne, sans avoir recours aux tripatouillages jadis réalisés pour le film de Gérard Corbiau, lorsque les voix d’une soprano et d’un contre-ténor avaient été mixées dans les studios de l’Ircam pour recréer le timbre de Carlo Broschi. Un talent à suivre, dont le concert du 10 mars à Versailles permettra sans doute de mieux juger les qualités dramatiques.