Parmi une discographie des plus riches, on peut s’étonner que Natalie Dessay n’ait enregistré son premier récital de mélodies, consacré à Claude Debussy, qu’en 2012. Accompagnée alors au piano par Philippe Cassard, c’est à nouveau avec lui qu’elle enregistre ces Fiançailles pour rire, du nom du recueil de mélodies de Francis Poulenc composé en 1939 sur des poèmes de Louise de Vilmorin.
On découvre avec amusement une jaquette à l’esthétique rétro, où les pseudos fiançailles entre la soprano et le pianiste reçoivent la bénédiction d’un Laurent Naouri déguisé en curé pour l’occasion. Mais dans cette atmosphère badine où se ressent avec bonheur le plaisir de travailler ensemble, une belle complicité ne fait pas nécessairement un bon album.
De Fauré jusqu’à Duparc en passant par Chausson, la voix de Natalie Dessay a su conserver une sorte de beauté et de pureté originelles, comme au commencement du chant, dans ce passage de la voix blanche et séraphique de l’enfant de chœur à celle plus timbrée de la maturité qui vient d’éclore. A la langue française parfaitement intelligible s’ajoute une interprétation lyrique de la mélodie française qui résiste à cette tentation trop répandue de la réduire à une musique de salon.
Toutefois, si haute et vaporeuse, cette voix semble parfois en peine d’offrir toute l’intention et l’investissement nécessaires à la mise en valeur de la musique comme de la prosodie. En particulier, l’écoute se fait des plus laborieuse lorsque point, tantôt subrepticement, tantôt de façon parfaitement assumée, le spectre du registre de variété. Aux nuances superbes de la voix, égarée dans d’impossibles pianissimi, cèdent malheureusement la récurrence de phrases détimbrées et avec beaucoup d’air, notamment pour pallier les faiblesses du registre médium. Parfois, ce sont même les aigus qui apparaissent étrangement poussifs, comme dans Chanson perpétuelle de Chausson, trahissant un surcroît d’effort face à des moyens vocaux manifestement insuffisants.
Il est par ailleurs fort dommage que la prosodie soit exempte d’un véritable parti pris, chez Poulenc en particulier, où dans la poésie désinvolte et « gourmande » de Louise de Vilmorin sont censées jaillir ici et là d’incessantes correspondances phoniques. Dans les Fiançailles pour rire, « Mon cadavre est doux comme un gant » fourmille de ces subtils jeux de sonorités, et les accents attendus sur « gant », « glacé » ou encore sur « de mes yeux des cailloux… deux cailloux… dans mon visage » qui se suivent en cortège sonore demeurent inexistants, malgré les legato et glissando très expressifs sur « Et mes prunelles effacées ».
La recherche de répertoire par les interprètes peut sembler assez sommaire puisque l’album regroupe des mélodies pour la plupart fameuses et régulièrement gravées. La rencontre entre Natalie Dessay et Laurent Naouri sur Colloque est simple et attachante, et l’accompagnement de Philippe Cassard demeure irréprochable. L’énergie insufflée par le Quatuor Ébène permet enfin de donner remarquablement corps à la musique de Chausson, atténuant les faiblesses d’un chant passablement désincarné : entre le lyrique et la variété, Natalie Dessay va sans doute devoir choisir.