Avec ce nouvel opus où il fait découvrir des airs de castrats oubliés (dont neuf airs en première mondiale), le contre-ténor Philippe Jaroussky s’intéresse cette fois à un répertoire légèrement différent de celui qu’il a déjà enregistré, correspondant aux années 1750 à 1780, charnières entre le baroque et le classicisme. Les quatorze airs choisis ont le mérite de mettre en valeur un prénom, celui du dernier fils de Bach, Johann Christian, à qui son illustre père fait bien de l’ombre.
Philippe Jaroussky explique s’être attaché à ce compositeur plutôt qu’à Jommelli, Paisiello ou Cimarosa parce que ses œuvres « possèdent une fraîcheur et une originalité qui sont le reflet d’une personnalité hors du commun, à la fois charmeuse, intrépide, rebelle et à l’affût des innovations de son temps ». À l’écoute du disque, on reste néanmoins sur sa faim : les airs sont finalement très conventionnels.
La voix de Philippe Jaroussky est quant à elle belle, pure et ambiguë à souhait. Son falsetto reste doublé d’une texture naturelle, ce qui contribue à l’inquiétante étrangeté qu’on ressent à l’écoute de son timbre. Sa technique est impeccable, mais la puissance que l’on imagine être l’apanage des castrats fait ici défaut. Les apprêts et la préciosité du chant ultra étudié pour ne pas dire affecté de l’artiste ne sont pas soutenus par le souffle que l’on pourrait attendre ici. Cela dit, la sensibilité, la délicatesse et la sensuelle beauté des compositions de Johann Christian, décidément aux antipodes de son père, enchantent les sens et participent à l’écoute toujours agréable de cet enregistrement. La teneur des airs pousse naturellement le contre-ténor à délaisser la performance et la pyrotechnie au profit d’un déploiement d’émotions très variées où l’interprète se montre manifestement à son aise. Et pourtant l’on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de manque, car l’ensemble, au lieu d’être spectaculaire, n’est que « joli ». Le tout s’écoute certes avec intérêt, respect et admiration, mais sans réelle passion. Est-ce la proximité du récent disque de Cecilia Bartoli, autrement plus excitant dans son exécution sinon par le programme lui-même, qui joue ici en défaveur du contre-ténor français ? Cessons de vouloir comparer des voix aux antipodes et une approche historique très différente. Puisqu’il est impossible d’entendre le son authentique du castrat, autant accepter le travail de reconstitution d’un artiste exigeant et intriguant dans sa démarche. Mais encore une fois, un peu plus de fougue, d’ardeur et d’éclat n’auraient rien retiré à l’entreprise. En un mot, tout cela manque de flamme.
Catherine Jordy