Un jour, il n’y aura plus personne pour témoigner de ce que fut l’Opéra de Paris avant la grave crise qui entraîna la suppression de la troupe. Ce temps, René Beaupain l’a connu, et il a choisi d’évoquer dans un livre cet ultime quart de siècle pendant lequel la notion de chant français avait encore un sens, avant l’uniformisation vocale qui règne aujourd’hui. « On mise ainsi sur ce qui pourrait convenir à toutes les Ecoles : une couverture de l’émission du son et une diction vague, de sorte que le chant est rendu plus passe-partout. Mais comme le dit un vieil adage : ce qui va avec tout ne va avec rien ». Malgré tout, l’auteur semble avoir des raisons d’espérer, qu’il énonce en quatrième de couverture : « nous pouvons constater l’apparition, dans le répertoire français, d’un certain nombre de chanteurs qui chantent plus clair comme on le faisait avant en y remettant les sonorités de la langue française, la diction, l’articulation, qui ne grasseyent pas ». Pour mieux juger des qualités des chanteurs français d’avant 1971, un disque serait peut-être plus indiqué, mais l’ouvrage de René Beaupain remplit bien d’autres services : il permet de combattre, ou du moins de nuancer, le mythe selon lequel, avant Liebermann, il ne se passait plus rien au Palais Garnier.
En 1945, Maurice Lehmann est nommé administrateur. Le 1er juin 1971, la troupe est éliminée. Entre ces deux bornes, René Beaupain présente un « Florilège des spectacles », autrement dit, une sélection dictée par des critères qui nous échappent un peu. C’est d’ailleurs la principale limite de ce livre : il ne faut pas y chercher un répertoire exhaustif des productions visibles après-guerre à l’Opéra de Paris, mais un choix d’ouvrages représentés à Garnier, avec la distribution et quelques photos de scène (ou des esquisses de décor, à défaut). L’aspect le plus dispensable du contenu est sans doute la description des décors selon le livret – même les pourfendeurs de la tyrannie du metteur en scène ne militent plus pour un strict respect de ce genre de didascalies – et le résumé de l’action, désormais disponible sur bien d’autres supports. Très précieux, en revanche, s’avèrent les indications concernant les diverses distributions – on croit rêver en découvrant ces grands classiques entièrement confiés à des artistes français –, le nombre de représentations de chaque spectacle (Othello, 166 représentations entre 1894 et 1966 dans les mêmes décors et costumes !), ainsi que l’existence, pour chaque œuvre, d’ « Enregistrements en langue française par les artistes de la Troupe ». La rubrique Coupures de presse est, elle aussi, riche en information, bien que parfois un peu maigre : on y décèle néanmoins quantité de détails qui révèlent tout l’esprit d’une époque. Les journalistes s’y félicitent que la mise en scène évite les mouvements trop nombreux, apprécient les décors conçus par des peintres de renom. Les metteurs en scène s’autorisent quelques audaces au nom de l’intensité dramatique mais se défendent de vouloir trop moderniser les œuvres du répertoire, car il convient de « respecter l’atmosphère auguste du Palais Garnier ». Autres temps, vraiment…