Si les médiévistes sont familiers des grands manuscrits auxquels nous sommes redevables de la transmission du répertoire liturgique et paraliturgique de l’épanouissement de la polyphonie occidentale, le nom de Las Huelgas n’évoque pour les profanes rien d’autre qu’un lieu exotique. De fait, c’est à Burgos que se situe le monastère cirstercien, fondé au XIIe S par Alphonse VIII de Castille (grand-père de Saint-Louis) et son épouse, Alienor d’Angleterre (fille d’Alienor d’Aquitaine), qui accueille depuis une communauté de moniales. Le manuscrit qui y est attaché, dont la copie s’achève autour de 1340, nous lègue 179 pièces accompagnées de leur mélodie, de styles très divers, dont nombre d’incipits sont partagés avec les « grands » recueils contemporains qui diffusèrent l’Ecole de Notre-Dame et l’Ars Antiqua (Montpellier, Bamberg, Wolfenbüttel, Florence, Monserrat ). Sa première édition, en 1931, due à Monseigneur Anglès, père de la musicologie hispanique, a été suivie de multiples tentatives d’exécution. On se souvient, entre autres, de la première réalisation in situ, avec les moniales de Las Huelgas, dirigées par Gregorio Paniagua (1970, Erato), de Konrad Ruhland, de Brigitte Lesne, de Paul van Nevel… Seul le conduit à deux voix Quod promisit semble n’avoir jamais été gravé, mais l’intérêt de l’enregistrement ne réside pas dans la nouveauté des pièces. L’unité de conception, l’extrême humilité, la ferveur, qui sont la marque de toutes les réalisations de Dominique Vellard, emportent l’adhésion. En 1970, il était impossible d’introduire des musiciens dans le cloître de Las Huelgas. Depuis, les recherches historiques ont autorisé des réalisations où, femmes dans la nef, hommes dans le chœur, les voix peuvent s’unir. L’enregistrement en tire la leçon et permet ainsi de varier l’émission vocale, sans en rompre le charme. Deux des quatre planctus (chants de déploration) du manuscrit sont ici restitués, profondément émouvants, ignorerait-on leur destination et leur texte. Tous les genres sont illustrés, que l’on ne va pas énumérer (un glossaire figure dans la brochure). Remarquons simplement le parti pris d’en unifier les styles : les conduits, destinés à la déambulation, sont quelque peu alanguis, et les organa, lisses, alors que d’autres nous ont habitués à des teneurs instrumentales et à un chant plus rugueux.
Si d’aucuns se plongeront avec ravissement dans cette écoute pour satisfaire leur soif d’inconscient mystique, les autres y trouveront une restitution de grande qualité, servie par des voix parfaitement familières de ces répertoires. La plénitude, la souplesse, l’émission et la conduite du chant en font une référence. La réverbération naturelle de la nef de la Madeleine de Vézelay confère à ces chants une forme d’authenticité à laquelle nul ne peut demeurer indifférent.
Le livret d’accompagnement, remarquablement documenté, bilingue (français – anglais), comporte tous les textes chantés, traduits dans les deux langues. Seuls font défaut les numéros de concordance avec l’édition Anglès (que nous avons reportés dans la notice « détails »).