Ce CD emprunte son titre à un lied du cycle op. 35 sur des poèmes de Kerner. Il ouvre une nouvelle intégrale des lieder de Schumann, réalisée par Christian Gerharer et son inséparable compagnon Gerold Huber. Le deuxième volume, intitulé Myrthen, sera réalisé courant 2019. Un coffret de 10 CD devrait lui succéder en 2020. On se souvient de cet extraordinaire Dichterliebe, comme des lieder de l’opus 90, que nos deux interprètes nous avaient offerts en 2004 (chez RCA), certainement repris dans l’intégrale promise. L’interview réalisée par Sylvain Fort, Christian Gerharer, un chanteur de lied pour notre temps, il y aura bientôt dix ans, éclaire d’un jour particulier la personnalité du baryton. Depuis, ce dernier n’a cessé d’illustrer la scène lyrique (Wolfram, Amfortas, entre autres rôles) tout en cultivant le lied plus que jamais, en récital comme au disque, de Beethoven et Mozart jusqu’à Wolf et Mahler.
Cet enregistrement, à côté des grands cycles dont la discographie regorge, nous propose, en plus des Kerner-Lieder, une majorité de pièces rares. Leur intérêt n’est pas moindre que celui des lieder qui nous sont familiers, et justifierait à lui seul la réalisation de cette intégrale. Ils couvrent toute la période créatrice de Schumann, avec toujours cette atmosphère si particulière, intime, rêveuse, intense, fiévreuse, inquiète, comme cette écriture où les riches harmonies du piano, magiques, enveloppent la mélodie.
L’exigence stylistique est magnifiquement servie par nos deux complices. La diction, l’articulation, les couleurs et les accents de Christian Gerharer nous rappellent l’importance essentielle des textes poétiques. La voix est souple, avec un legato chargé de séduction. La vigueur, comme le soutien sont dépourvus d’affectation, tout apparaît naturel, simple et sobre. Conduite des phrasés, la projection, sont admirables. « Erstes Grün », « Stille Liebe » en sont les meilleurs exemples et font mieux que soutenir la comparaison avec les enregistrements mythiques. Quant au timbre, riche, caressant, avec des aigus, puissants ou mezza-voce, clairs et aisés, il participe à la plénitude de l’expression. Toutes les facettes du génie de Schumann sont également illustrées. De l’énergie rageuse de « Lust der Strurmnacht » à la spiritualité lumineuse, au mysticisme de Kerner (« Stirb,Lieb’ und Freud’ », deuxième des Kerner Lieder, « Trost im Gesang », op 142/1). La sensibilité schumannienne, la fièvre, le désespoir, tout est là. Peut-on trouver meilleurs interprètes ? Seule réserve, minime : fidèle à ses conceptions, Christian Gerhaher se refuse à théâtraliser le lied, fut-il ballade. Ainsi, l’expression dramatique de « Die beiden Grenadiere » reste-t-elle en-deçà des attentes. La progression en est haletante, de l’accablement à l’exaltation, mais le caractère exténué de la marche, l’effondrement ultime sont estompés. Pourquoi ?
Gerold Huber est un merveilleux pianiste. La restitution des plans sonores, qui place au même niveau les deux interprètes nous permet d’en apprécier pleinement le jeu. Voix et piano ne font qu’un, avec clarté, une même respiration constante, c’est superbe. Le fidèle partenaire, compagnon idéal, toujours à l’écoute, avec lequel le baryton échange fraternellement, n’appelle que des éloges.
Etrangement les intégrales de ce corpus sont rares. Même le grand Dietrich Fischer-Dieskau, s’il en a enregistré l’essentiel, n’a pas gravé tout l’œuvre. Actuellement seule celle réalisée sous la conduite de Graham Johnson, le fabuleux accompagnateur, se trouve disponible, en dix CD auxquel l’éditeur (Hyperion) a jouté un onzième volume. A l’écoute de cet enregistrement, nul doute que la somme que nous promettent Christian Gerharer et Gerold Huber ne se situe au plus haut niveau.
Le livret d’accompagnement permet au chanteur d’expliciter son approche des lieder enregistrés. Malheureusement, il est exclusivement en anglais et en allemand, comme les poèmes et leur traduction.