Près de trois siècles après leurs joutes vocales – et physiques – sur les planches du King’s Theatre, la fascination pour les rival queens ne se dément pas, et on peut encore compter les points. Mettons de côté les trois CD consacrés aux deux divas ensemble ; avec quatre anthologies en son seul honneur, Faustina Bordoni avait jusqu’à présent l’avantage. Ce nouvel hommage à la soprano parmesane Francesca Cuzzoni (1696 – 1778) vient égaliser le score à quatre partout.
Cet enregistrement entend mettre en valeur l’enfant du pays avec le parrainage de diverses institutions et associations parmesanes, la contribution d’un chef local et un autre compositeur natif de la ville au programme, le violoniste Mauro d’Alay. Dommage que la firme Elegia n’ait pas soigné le texte de présentation (en italien et anglais), émaillé de coquilles, erreurs et propos discutables. Non, le public n’était pas particulièrement curieux d’applaudir une femme sur scène et les primadonnas étaient déjà courantes : la première diva serait plutôt Anna Renzi, dès les années 1640. Selon la légende, la Cuzzoni aurait refusé de chanter « Falsa immagine » non en raison d’une trop grande agilité vocale, mais bien à cause de la simplicité de l’air. La soprano est repartie de Londres en 1736 et non 1733, année de son retour. Enfin, le tableau qui illustre la biographie représente… l’actrice et contralto britannique Susannah Cibber, peinte par Thomas Hudson. Ce n’est pas très sérieux.
C’est une jeune soprano encore bien peu connue qui affronte la prestigieuse figure de la Cuzzoni. Lucia Cortese est née à Gênes et a pris quelques leçons auprès de Mmes Invernizzi et Mingardo. Elle a débuté comme choriste à Plaisance et entamé une carrière soliste dans le répertoire baroque, notamment en 2017 à Schwetzingen, dans les opéras de Monteverdi. Entend-on ici la prochaine étoile du firmament lyrique ? Probablement pas, mais la voix n’est pas sans atouts. D’abord un timbre corsé, nécessaire pour rendre justice aux rôles de La Parmigiana, qui réclament un aigu rayonnant mais aussi un médium et un grave solides : Cleopatra, Asteria ou Rodelinda ne sont pas des sopranos légers. Lucia Cortese ne minaude pas, ne manque ni de goût, ni d’engagement, et apporte une appréciable maturité à ses incarnations. À défaut d’un vrai trille, joyau de son illustre devancière, elle dispose d’une souplesse suffisante pour les volubilités de Giacomelli. L’influence de Roberta Invernizzi (qui a enregistré intégralement l’Emirena de Veracini – Adriano in Siria) est palpable çà et là, mais il faut reconnaître que pour l’heure, le chant de Cortese ne distille pas encore toute la poésie et le charisme nécessaires : c’est sympathique, sans plus.
L’ensemble Trigono armonico ne constitue pas le plus flatteur des écrins, qui plus dans une prise de son médiocre qui n’arrange ni la soliste, ni les instrumentistes. Le chef et violoniste Maurizio Cadossi dirige assez platement un très maigre effectif (cinq archets et un clavecin) dont la sonorité n’est pas toujours agréable. Les airs manquent cruellement de densité orchestrale et de dynamique, par exemple « Rendimi il figlio mio » de Leo, qui appelle plus d’enjeu et d’agitation. L’ensemble n’est pas plus à son avantage dans les concertos qui occupent une large part du disque, le premier pour violon de Mauro D’Alay, l’autre pour violoncelle signé Nicolas Fiorenza. Si on remarque surtout un gentil largo dans le premier, le charme opère davantage chez le second, plus vivant et savoureux.
Il n’y a que sept pages vocales pour compléter les 67 minutes du CD : c’est un peu chiche, surtout pour retracer l’ample carrière de la Cuzzoni. Reste que ces airs, dont trois au moins ont déjà été gravés, sont assez beaux. L’évident Haendel ayant été évité, la période londonienne de la Cuzzoni est représentée par Adriano in Siria de Veracini et le fameux Astianatte de Bononcini où, chauffées à blanc par leurs factions respectives, Bordoni et Cuzzoni en vinrent aux mains sur scène. Il est temps de dépasser cette anecdote et de reconnaître en quoi Bononcini fut un rival sérieux de Haendel dans les années 1720. Ses mélodies sont simples et directes, et les accents touchants de « Deh non accrescer » d’Andromaque donnent envie d’entendre tout l’opéra. Également inédits, les deux airs de Scipione in Cartagine de Giacomelli (Parme 1730) sont fort jolis. Mais ici comme ailleurs on se surprend à imaginer ce que cette musique donnerait dans de meilleures conditions, malgré la sympathie qu’inspire Lucia Cortese.