Commencée il y a dix ans, la collection de biographies musicales que nous offre Actes Sud s’enrichit d’un dernier titre qui vient à point nommé : signé par Olivier Lexa, historien, musicologue épris de Venise et de Francesco Cavalli, c’est un nouveau bijou.
Petit par le format de la série, son contenu est riche. La biographie et l’œuvre du compositeur s’y éclairent réciproquement et renforcent notre connaissance, mais surtout notre désir d’en découvrir encore davantage. Avec la disparition de Cavalli, écrit Olivier Lexa, c’est le compositeur le plus populaire de son siècle qui s’éteint – un artiste immense que l’on ne cesse de redécouvrir, constatant avec quelle spontanéité son œuvre séduit le public d’aujourd’hui […] Son style, reconnaissable entre tous [ …), sa fluidité, sa finesse psychologique, sa maîtrise de la tragédie comme de la comédie en font l’incarnation de cet âge d’or de l’opéra, caractérisé par l’équilibre parfait entre musique et dramaturgie… (p.194)
Faute d’avoir publié ses nombreux opéras dont 28 sur les 33 composés nous sont parvenus, Cavalli s’est vu relégué dans l’ombre de Monteverdi, son maître, qui dut cependant lui emprunter plus qu’on ne le pense généralement. Seul Fétis, après l’avoir dirigé, en révéla le génie dès 1832 (5 colonnes dans son dictionnaire). Mais il fallut attendre Carlo Maria Giulini, en 1952, pour qu’un de ses opéras, La Didone, renaisse, à l’occasion du 350e anniversaire de la naissance du compositeur. Depuis, enregistrements et productions se multiplient, au grand bonheur d’un public chaque fois conquis. L’auteur consacre un chapitre aux productions modernes des opéras de Cavalli.
La biographie se lit comme un roman. La synthèse est brillante, remarquablement documentée, dense et passionnante. Le sujet ne l’est pas moins… Cavalli impresario, compositeur, organiste à Saint Marc, homme d’affaire très avisé, profite de la création de la première salle d’opéra commerciale, le San Cassiano, s’entoure des meilleurs collaborateurs, réduit de 5 à 3 le nombre d’actes, prolétarise dieux et déesses, accorde la priorité à l’action dramatique, avec le souci de l’intelligibilité du texte, usant à merveille du recitar cantando, bref, introduit un changement stylistique majeur qui marquera durablement l’opéra. S’il est considéré à juste titre comme le maître des lamenti, les scènes comiques avec les bouffons, les nourrices et autres personnages émigrés de la Commedia dell’ arte sont toujours des réussites. La vérité et l’efficacité dramatique ne se démentent jamais.
Malgré la concision de l’ouvrage, la peinture de la vie vénitienne, de ses intrigues, la naissance de l’opéra public, dont Cavalli sera le premier bénéficiaire, dans tous les sens du terme, le processus de création d’un ouvrage lyrique, dépassent l’anecdote pour prendre une dimension historique. Son séjour parisien est décrit de façon détaillée, et apporte des informations nouvelles sur les rivalités et les intrigues où Lully eut sa part.
Chacune des œuvres lyriques fait l’objet d’une étude fouillée, et esquisse les lignes de force, les constantes comme les évolutions. La liste chronologique des opéras, une bibliographie sélective et un index qui complètent cet ouvrage en font la référence, dorénavant incontournable.