C’est au moins le septième enregistrement de cette Missa pro defunctis publié depuis 1976 (*). Pour autant, l’œuvre demeure largement méconnue, et toute nouvelle approche est bienvenue.
On oublie parfois que Cavalli, dans sa très longue carrière vouée à la scène (plus de 60 ans d’activité), fut maître de chapelle à Saint-Marc, après avoir commencé par chanter dans le chœur, alors dirigé par Monteverdi. Considérée parfois comme son testament artistique, composée à la fin de sa vie, cette Missa pro defunctis emprunte un style sensiblement différent de celui de ses compositions antérieures. Ici, le stile nuovo, faisant appel à des voix solistes, concertantes, est oublié pour le contrepoint des franco-flamands et l’héritage polychoral de Gabrieli.
La partition ne comporte pas d’autres parties instrumentales que celles du continuo. Conformément à l’usage, le parti est ici pris de joindre cordes et vents, en doublure ou en substitut des voix, ce qui permet de varier les couleurs et les oppositions. Les piffari (ou Stadtpfeifer pour les pays germaniques), institués en 1458 dans la Sérénissime, apportaient leur concours aux grandes célébrations religieuses. A deux chanteurs par partie, donc un seul pour le double-chœur, la lisibilité est constante. Toujours ça avance, avec des tempi très soutenus, la séduction est au rendez-vous.
Et là réside le problème : à l’écoute, n’était le texte liturgique, rien ne permet d’imaginer la destination de cette messe. D’autant qu’elle est introduite par une très belle sinfonia, festive, (empruntée à Gli amore d’Apollo e di Dafne) et entrelardée de pièces profanes comme sacrées, pour se conclure par la séquence de plain chant Victimae paschali laudes. Plutôt que les belles compositions de Manelli, Bassano et Cazzati, et même un Miserere de Lassus, nous aurions justement préféré le grégorien du propre de la messe : le contraste entre la linéarité monodique de ce dernier et la riche polyphonie de l’ouvrage aurait été accentué. La brève incise qui introduit le Requiem aeternam puis l’Agnus Dei en sont la démonstration. Chanteurs et instrumentistes de la Capella de la Torre, conduits par Katharina Bäuml, s’y accordent parfaitement, C’est d’une grande beauté, sereine, colorée à souhait, mais l’émotion fait trop souvent défaut. Pourquoi la solennité, les couleurs, le faste et la pompe l’excluraient-elle ? Le livret, bilingue (anglais-allemand), sérieusement documenté, comporte les textes chantés et leur traduction dans les deux langues.
Selon sa culture et sa sensibilité, l’amateur choisira entre cette somptueuse version et celles, très différentes, dirigées par Françoise Lasserre, ou par Bruno Gini.
(*) Halsey/L’Oiseau-lyre ; Jecklin en 80 ; Loehrer en 90 ; Fr.Lasserre en 93 ; en 2004 ? /Dulcimer ; Gini/Tactus, la même année ; Bordignon en 2015.