« J’ai la foi d’un curé de campagne » confiait Poulenc peu avant sa mort. Quelques jours après la disparition tragique de Pierre-Octave Ferroud, c’est précisément à Rocamadour, où il s’était rendu avec Pierre Bernac, qu’il trouve la paix. En une semaine, alors que Franco déclenche la guerre civile en Espagne, et que les grèves viennent de s’éteindre en France, en août 1936, miraculeusement, éclosent les Litanies à la vierge noire, sa toute première œuvre chorale. « Calme… humble et fervent… très doux, mais chaud » indique le compositeur pour appeler la lecture de tel ou tel passage.
L’écriture modale, archaïsante et audacieuse est merveilleusement illustrée par Mathieu Romano et son chœur Aedes. La plus large échelle dynamique, du ppp au fff (« Reine à qui Roland… »), le magnifique contrepoint de l’orgue, qui s’enrichit progressivement, et la tessiture s’élargissant pour s’achever dans la douceur qui baignait le début, l’émotion est bien là. La pureté, l’innocence, la transparence, mais aussi la véhémence des voix de cette version première, avec orgue (1), nous captivent.
O doulx regard, o parler gracieux, chanson de Janequin (2) ravira les fervents de chant choral. Elle s’harmonise fort bien entre les deux pièces sacrées de Poulenc, qui appréciait ce répertoire. Cependant, elle surprendra, voire scandalisera, les puristes épris d’authenticité, puisque l’invention chorale, a cappella, des chansons parisiennes de la Renaissance remonte au XIXe siècle, installée durablement ensuite par Charles Bordes et ses Chanteurs de Saint-Gervais (3). Qu’importe, la plénitude et la continuité tonale autorisent un bel enchaînement avec le Stabat mater. Deux observations cependant : la reprise de la musique pour le second quatrain, ici absolument identique, aurait appelé un changement (tutti-soli, ou substitution instrumentale aux parties de superius, altus et bassus). La seconde surprise de cette lecture réside dans la césure – que l’on ne comprend pas – entre « O grand douleur » et « O céleste planète »… oublions.
Le texte du Stabat Mater a inspiré à Poulenc une de ses plus belles pages. Comme auparavant, le texte n’est pas prétexte, il est en chacun des interprètes comme sur leurs lèvres. Le Fac ut ardent, où le chœur, privé de ses barytons et basses, chante a cappella, l’orchestre se limitant à une ponctuation et à l’accord ultime, est un sommet. Jamais l’importante formation orchestrale que mobilise le compositeur ne fait masse, sinon dans de formidables tutti, d’une puissance dramatique paroxystique. La clarté subtile, les équilibres, les respirations sont illustrés ici avec ferveur, gravité comme légèreté par un chœur et un orchestre fusionnels. Les deux pages confiées à la soliste, Marianne Croux, atteignent au sublime. La pureté d’émission, le phrasé au souffle infini nous étreignent. La seconde (Fac ut portem) tout particulièrement, déploration, marche funèbre, avec le chœur, en valeurs longues. La page finale, le Quando corpus, extatique, lumineux, appelle le silence et le recueillement.
Une réalisation qui renouvelle la discographie, à marquer d’une pierre blanche (4).
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1. Poulenc l’orchestrera ensuite, mais nous préférons cette première version, pour son ascèse et sa ferveur. La registration de Louis-Noël Bestion de Camboulas est un régal. 2. Publiée en 1548 par Attaingnant, elle est la seule de Janequin participant au 26e Livre contenant 27 chansons nouvelles à 4 parties. 3. Etonnamment, Dominique Visse, auquel ce répertoire doit tant, apparaît dans les remerciements d’Aedes. 4. Le minutage réduit aurait autorisé l’ajout de telle ou telle pièce en relation avec le programme. Ainsi, par exemple, les Sept répons des ténèbres, la Messe, ou le Salve regina (les œuvres ne manquent pas)…