Peut-on mourir d’ennui en écoutant un disque ? Non, mais avec celui-ci, l’auditeur est menacé de tomber dans un coma dépassé. Surtout quand ledit auditeur, très naïvement, s’attendait à en recevoir plein les oreilles. Franz Schmidt a la réputation d’un romantique tardif et échevelé, Son Livre des sept Sceaux s’inspire de l’Apocalypse, sujet spectaculaire s’il en est, un chef de la qualité d’Harnoncourt a pris la peine de l’enregistrer pour Teldec, et la liste des chanteurs sur la pochette est plus qu’alléchante. On s’attend donc à passer à travers la mer de feu d’une sorte de péplum musical. Et qu’entend-on ? D’interminables récitatifs de ténor, parfois interrompus par la basse, sur des ronflements d’orgue vaguement dissonants. De temps en temps, le chœur beugle quelques phrases grandiloquentes, généralement de manière antiphonique, ce qui crée un petit effet au départ, mais la répétition du procédé émousse vite la trouvaille. Les 108 minutes de l’œuvre s’écoulent dans une grisaille ininterrompue, avec une absence de dessin mélodique qui lassera l’attention des plus assidus. Le beau chœur de la fin de la deuxième partie arrive trop tard, surtout qu’il est bizarrement suivi par … un nouveau récitatif de ténor, dont on pensait être enfin débarrassé, et qui termine l’oratorio de manière incongrue.
Pour animer un tel pensum, il eût fallu une baguette autoritaire, capable de soulever le texte et d’y insuffler une vie, de tracer de grandes lignes et de créer une attention chez l’auditeur. Simone Young, malgré de belles qualités de mise en place, n’est pas la femme de la situation : elle se contente d’une lecture lisse et gentille, aplanissant les rares explosions qui pourraient animer le propos, déroulant sous les pieds de ses chanteurs de grands tapis de cordes, peu différenciés et finalement très monotones. Sans doute est-elle fidèle à l’esprit « janséniste » de ce Livre des sept Sceaux. Mais, en l’occurrence, rendre l’œuvre aurait peut-être impliqué de la trahir.
Dommage pour les chanteurs rassemblés, qui font tous montre d’une qualité éminente. Très sollicité par le compositeur, Klaus Florian Vogt assure sa partie avec son aisance habituelle : un timbre angélique, qui se meut du haut en bas de sa tessiture sans rupture, sans duretés, avec une beauté supraterrestre très en phase avec son rôle de messager divin. Georg Zeppenfeld n’évolue pas sur les mêmes cimes, mais son grain sonore viril et rugueux forme un contraste agréable avec le ténor. Les deux femmes font tout ce qu’elles peuvent pour rendre intéressantes leurs parties. Le chœur de la NDR, renforcé par ses collègues lettons, offre une prestation digne d’un studio, alors qu’il s’agit d’un « live » capté à la Laeiszhalle de Hambourg en juin 2015, avec une justesse jamais prise en défaut, malgré des intervalles d’une difficulté presque insensée et des superpositions polyphoniques qui sont par moment d’une complexité affolante. Finalement, on tirera son chapeau à tous ces artistes, qui ont consacré tant d’efforts et de scrupules à une œuvre qui n’en vaut pas tant.