Pourquoi fut baptisé « Champs-Elysées » le théâtre fondé par Gabriel Astruc en 1913 avenue Montaigne ? Parce que la salle aurait dû être édifiée aux abords de l’(ex) plus belle avenue du Monde, à proximité du Carré Marigny. La prévention des riverains, la nécessité d’abattre des arbres et une campagne antisémite eurent raison du projet initial. Paris n’a pas changé, hélas. Hier comme aujourd’hui, mêmes combats !
Voilà donc notre journaliste, éditeur de musique, imprésario, entre autres qualités et professions, contraint de trouver un nouveau point de chute à son théâtre. L’idée de disposer de sa propre salle de concert avait germé dans son esprit audacieux au début des années 1901, dans le tourbillon culturel et mondain de la Belle Epoque, lorsque la ville, dite à juste titre « lumière », formait l’épicentre de l’avant-garde et donnait le la artistique au reste du monde. Entre hier et aujourd’hui, Paris a pour le coup bien changé, hélas.
Né en 1864 à Bordeaux, fils d’un libraire, Gabriel Astruc avait forcé les portes des hautes sphères parisiennes grâce à ses talents d’écrivain et de critique musical, avant de créer en 1902 Musica, supplément mensuel du magazine Femina, considéré par Massenet comme « le plus grand des journaux de musique français », puis de fonder en 1904 la Société Musicale appelée à jouer un rôle crucial dans la promotion de Maurice Ravel, notamment. Homme de réseaux, son solide carnet d’adresse à l’intérieur duquel figuraient financiers, journalistes, artistes et autres personnalités du tout-Paris l’aida à mener à bien ses différents projets. Le Théâtre des Champs-Elysées, qui en forme le sommet, induisit dans le même temps sa renommée et sa ruine. « J’ai tant sacrifié à la réalisation d’un rêve artistique que je croyais pouvoir devenir réalité. Dans cette douloureuse entreprise, j’ai tout englouti mais j’ai sauvé mon honneur » écrivait Gabriel Astruc à Moïse de Camondo au début de l’année 1914, alors que sa faillite est prononcée. Maigre consolation : le Figaro le saluera lors de sa mort en 1938 du titre de « prodigieux animateur ».
C’est le parcours de cette « figure majeure dans l’histoire de la vie culturelle des premières années du XXe siècle » que raconte en un court récit Myriam Chimène, musicologue, directrice de recherche émérite au CNRS et auteur (sic) aux Editions Fayard de Mécènes et musiciens : du salon au concert à Paris sous la Troisième République, « ouvrage dans lequel Gabriel Astruc occupe une place de choix ».
Le fascicule d’une cinquantaine de pages, illustré par de nombreuses photos extraites en majorité du Fonds Archives du Théâtre des Champs-Elysées, appartient aux Chroniques du Théâtre des Champs-Elysées, collection qui veut mettre l’accent sur une personnalité, une œuvre ou un thème en relation avec l’histoire du Théâtre. A rebours de la chronologie, un précédent ouvrage balayait la vie ô combien romanesque de Ganna Walska (1887-1984), qui devint propriétaire du Théâtre des Champs-Elysées en 1922 pour ne le céder qu’en 1969 à la Caisse des Dépôts. Comme Gabriel Astruc, la personnalité de cette soprano et mécène, non sans points communs avec Florence Foster Jenkins, mériterait une biographie plus détaillée.