Gabriel Bacquier est Don Giovanni. En 1960, sur le plateau du Théâtre de l’Archevêché, le baryton français impose durablement à la France réunie derrière son téléviseur* l’image de l’éternel séducteur. Gabriel Bacquier est Scarpia, le tortionnaire de Floria Tosca qu’il interpréta un nombre considérable de fois de Paris à New York, en passant par Vienne, Londres, etc. Gabriel Bacquier est Golaud, même s’il lui fallut longtemps avant d’accepter un rôle dans lequel il pensait ne pas pouvoir égaler Michel Roux. Gabriel Bacquier est Méphisto, de Berlioz car chez Gounod, il est d’abord Valentin. Plus encore, parait-il, Gabriel Bacquier est Orphée, dans la version revue pour baryton. Gabriel Bacquier est aussi Iago, Escamillo, Dulcamara, Don Pasquale et même Cyrano de Bergerac, mis en musique par Paul Danblon et créé à Liège en 1980. L’œuvre trop longue sombra dans l’oubli en raison de l’obstination de son compositeur à ne pas vouloir accepter de coupures. Mais qui est Gabriel Bacquier ?
Une conjonction de deux paires d’éléments antagonistes – défi/naïveté et conquête/fragilité – nous explique Sylvie Oussenko dans une démonstration filandreuse, qui plus est, soumise à subjectivité. Le sous-titre de l’ouvrage qu’elle consacre au chanteur français – le génie de l’interprétation – en dit long sur le parti-pris de son propos. Sylvie Ossenko ne conçoit le rejet qu’a parfois pu inspirer l’art de Gabriel Bacquier que dans la mesure où ces incarnations font appel « à la sensibilité et l’intelligence, ce qui manque cruellement à nombre de ses collègues et à une partie du public ». Et l’auteure, qui est licenciée en philosophie, de déplorer que Bacquier ait rencontré trop tard sa Diotime, « l’inspiratrice qu’il aurait lui-même inspirée ». Le message est clair.
Plus que ces considérations discutables ou certaines assertions relatives à l’art lyrique qui le sont tout autant, on retiendra le parcours de l’artiste, son acharnement au travail, l’inspiration qu’il puisa chez Jean Gabin ou Charles Vanel, à l’exemple de Maria Callas calquant ses attitudes sur celles d’Audrey Hebpurn. On lira les hommages rendus aux chefs d’orchestre avec lesquels ce faune de l’art lyrique aima collaborer : Etcheverry, Dervaux, Davis, Plasson… On s’amusera des anecdotes, nombreuses, qui colorent le portrait et renvoient l’image d’un artiste plus complexe que sa réputation de bon vivant pourrait le laisser croire. Séduit, on se laissera même prendre par ce que Sylvie Oussenko appelle ses fulgurances poétiques : « Ma tête, lourde de toi, / Retombe sur ton sein pâle / Gonflé de moi ».
Quant à savoir qui est Gabriel Bacquier, c’est Jean Cotté, dans la revue de presse proposée en annexe, qui à propos d’une représentation de Tosca à Paris en février 1974, apporte la réponse : « il ne joue pas. Il ne chante pas. Il est l’opéra ».
Christophe Rizoud
* La soirée, présentée par Georges de Caunes, est retransmise en Eurovision