Belle conjonction de planètes. Alors que l’ensemble Les Métaboles fête ses quinze ans d’existence et sa place originale dans le paysage musical, il a enregistré au disque lors d’un concert à la Cité de la Voix de Vézelay une rare œuvre vocale de Philip Glass sur l’excellent label b-records qui fête lui-même ses dix ans d’existence. Cette œuvre excitante de 1975, c’est Another Look at Harmony-Part IV composée de huit sections d’une durée variable de seize secondes à plus de onze minutes, composée alors que Philip Glass vient de débuter l’œuvre ogresse Einstein on the beach (qui lui prendra quatre années). On connaît l’appétence de l’ensemble dirigé par Léo Warynski pour les répertoires originaux, et ce CD vient admirablement le prouver. Avec cet « Another Look » il s’agit pour le chef de démontrer l’excellente tenue technique de son ensemble tout en mettant en lumière l’importance de la place occupée par le compositeur américain, dont on connaît l’extraordinaire influence sur la musique des années 70 à celle d’aujourd’hui (avec de nombreux héritiers appartenant à des territoires très divers, du rock progressif à la musique électronique, de la techno-house à la pop, et surtout à la jeune et meilleure création contemporaine qui refuse de camper sur l’Aventin de la musique dite « sérieuse »). Bref la musique minimaliste (ou répétitive) a essaimé plus qu’aucune autre esthétique avec ses fascinants « objets sonores » – comme le dirait Pierre Schaeffer.
Remplaçant l’orgue électronique prévu dans la partition par un orgue baroque (superbe jeu de Yoann Héreau, vieux complice de l’ensemble), le geste du chef des Métaboles tend à réinscrire cette pièce dans une histoire chorale multi-séculaire. Mais l’ensemble formé de dix-huit chanteurs rend pleine justice à l’invention toute moderne de cette musique pulsée, répétitive mais non mécanique (P. Glass n’est pas S. Reich), car imperceptiblement déroutante, inventive avec ses micro-changements de rythme organisant des effets de surprise subtils, et des modifications ténues mais marquantes de texture grâce aux boucles de l’orgue, aux entrées et modulations des voix. La force hypnotique que parvient à recréer le chœur, en huit sections déroulant une expérience temporelle bouleversant nos repères, est des plus exaltantes. Il réussit ici une prouesse technique (mûrement répétée) pour une œuvre vocale extrêmement difficile à mettre en place pour une cinquantaine de minutes. Cette continuité de l’histoire vocale voulue par Léo Warynski est par ailleurs réaffirmée avec l’enregistrement (en plage 9) d’une composition récemment redécouverte, un Canon du XVIIIe siècle d’Andrea Basily. Il est permis de trouver ce dernier bien moins intéressant, en regard du chef-d’œuvre d’un compositeur de notre temps, malgré l’ambition du Canon de nous faire accéder à l’éternité avec ses superpositions et reprises de voix. Notons enfin qu’une création visuelle accompagnera la reprise du disque au concert à la Filature de Mulhouse le 15 mai 2025.