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GLUCK, Écho et Narcisse

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CD
8 octobre 2023
Bancales beautés

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Drame lyrique en un prologue et trois actes

Créé à l’Académie royale de musique (Paris) en 1779

Livret de Jean-Baptiste de Tschudi d’après Les Métamorphoses d’Ovide

Musique de Christoph Willibald Gluck

Détails

Adriana Gonzalez – Écho

Cyrille Dubois – Narcisse

Sahy Ratia – Cynire

Myriam Leblanc – Amour

Adèle Carlier – Aglaé

Cécile Achille – Églé

Laura Jarrell – Thanaïs

Lucie Edel – Sylphie

Le Concert spirituel : chœur et orchestre

Hervé Niquet : direction musicale

2 CD Château de Versailles spectacle 2023 (60’59 & 41’19)

Enregistré à l’Opéra royal de Versailles du 20 au 23 octobre 2022

Le bide. Un camouflet pour celui qui pouvait s’enorgueillir d’avoir donné une nouvelle impulsion à l’opéra français. Pensez donc : Iphigénie en Aulide et Orphée (1774), Alceste (1776), Armide (1777) puis Iphigénie en Tauride (1779) avaient fait les délices d’une grande partie d’un public fatigué des manières anciennes. Et pourtant, quelques mois à la suite de la seconde Iphigénie, Écho et Narcisse disparaissait de l’affiche après seulement 12 soirs, unanimement boudé par toutes les factions.

Gluck s’est pris les pieds dans des ambitions peu en phase avec son temps. Après avoir brillé dans la tragédie, il s’attaque à la pastorale. Ce genre, comme l’opéra-ballet, n’est plus que la survivance d’une époque – d’un régime – en train de s’achever. Les années 1780 allaient d’ailleurs confirmer le goût français pour le grand tragique, illustré par Salieri, Piccinni, Sacchini, Gossec ou encore Lemoyne.

Quelle idée, aussi, d’inventer d’improbables amours entre Écho et le beau Narcisse ? Chez Ovide, la nymphe, condamnée par Junon à ne pouvoir que répéter quelques mots, dépérit et meurt après avoir essuyé le rejet de Narcisse. Ce dernier tombe bientôt sous le charme de son propre reflet dans l’eau et, comprenant que son amour est inaccessible, disparaît à son tour. « Les Dryades pleurèrent ; Écho répercuta leurs gémissements. Déjà elles préparaient le bûcher, les torches et le brancard funèbres : le corps ne se trouvait nulle part ; au lieu d’un corps, elles trouvent une fleur au cœur couleur de safran, entourée de pétales blancs. »*

Bien mal inspiré, le librettiste Jean-Baptiste de Tschudi rebat ces cartes : Écho n’est frappée d’aucune malédiction, et Narcisse lui accorde ses faveurs avant qu’un sort d’Apollon ne le fixe à son reflet – où, bienséance oblige, il croit voir une femme. Dans un joli prologue, l’Amour se jure donc de réunir les amants. L’acte I démarre lentement. Églé et Aglaé attendent Écho qui apparaît enfin, tourmentée par l’indifférence nouvelle de Narcisse. Le voici : il chante son amour à son reflet avant de repartir sans avoir communiqué avec Écho, qui termine l’acte dans l’exaltation. L’acte II débute sur l’attente de la mort de la nymphe, désormais résignée. Narcisse est enfin dessillé par son ami Cynire, mais trop tard : le cortège funèbre d’Écho passe. Le troisième acte file rapidement ; Narcisse exprime sa peine et ses regrets auxquels répondent les échos de la nymphe. L’Amour débarque ex machina pour réunir le couple. Écho et Narcisse se réjouissent de concert, mais c’est un peu tard pour nous toucher, puisqu’ils ne s’étaient jamais parlé auparavant… Dans une passionnante analyse de l’opéra, Julien Garde résume fort justement : « La construction du drame s’avère de toute façon quasi impossible puisqu’elle se fonde sur un mythe dont les personnages sont bien trop centrés sur eux-mêmes pour permettre le déroulement d’une action. Le livret prend alors l’aspect d’un catalogue d’états d’âme ressassant sans cesse les mêmes impressions : “pas d’action, pas de mouvement ; tout se passe en confidences, en rêveries et en plaintes.” »

On ne peut nier pourtant que la belle musique coule à flots. Gluck mobilise tout son métier – et le vivier mélodique de ses œuvres italiennes – pour enchaîner sans s’appesantir des pages élégantes et séduisantes. L’orchestre délicatement coloré par les vents, la qualité d’un récitatif mouvant et raffiné, la science harmonique témoignent de sa pleine maturité musicale. Danses et chœurs charment continument dans leur variété. Aux rôles accessoires, des motifs d’opera seria remontant parfois aux années 1750 (Ezio, La Danza…), certes acclimatés au genre français, tandis que le couple principal épouse des accents tragiques. En dépit de moments d’une grande beauté, mal épaulée par le mouvement du drame, la musique semble parfois pleine d’« effets sans causes », selon le reproche injustement adressé à Meyerbeer.

À la tête d’un Concert spirituel sensible (chœur admirable de clarté, notamment), Hervé Niquet relève le défi de redresser la réputation de l’ouvrage. Il privilégie fluidité et cohérence pour ne pas accentuer ce que les moments plus véhéments peuvent avoir d’incongrus. Impeccable de style, Adriana González ne laisse pas deviner ses origines guatémaltèques et habille Écho d’un sombre manteau tragique. La nymphe n’en demandait peut-être pas tant, mais c’est bien la partition qui le suggère. L’espoir plaintif de son air « Peut-être d’un injuste effroi » se situe dans la meilleure veine du musicien, et les pudiques adieux de l’acte II sont touchants. Seule réserve, de beaux accents alternent avec des moments plus flous. Le défaut ne guette pas Cyrille Dubois, toujours fascinant dans la façon de modeler le chant sur le texte. Suave et mordant, son Narcisse éveille l’intérêt à chaque apparition. Cynire est musicalement bien servi : c’était le rôle de Legros. Hélas, il n’a d’autre épaisseur que celle d’intercesseur fidèle. Sahy Ratia ne semble pas toujours très à l’aise au début, mais s’acquitte de sa partie avec mérite. On louera en particulier une diction très nette et les interventions du dernier acte, qui le trouvent à son meilleur.

Les autres rôles offrent peu pour exister : Lucie Edel et Laura Jarrell ne sortent du chœur que pour participer à un quatuor animé. Elles secondent Cécile Achille et Adèle Carlier, qui ont beaucoup plus d’occasions de faire valeur de jolies voix ; cette dernière se distingue par un surcroît d’incisivité, notamment dans une belle scène au III. Seule à animer le prologue, Myriam Leblanc est un Amour pimpant dont on attendrait néanmoins un peu plus de caractère.

Fallait-il enregistrer Écho et Narcisse ? Sans aucun doute, ne serait-ce que pour compléter notre connaissance de Gluck, l’édition Jacobs de 1987 avec Sophie Boulin et Kurt Streit n’étant plus éditée. L’intérêt n’est pas que documentaire : au fil de reprises plus intimistes, l’opéra sut séduire davantage en son temps. Gageons que dans un cadre idoine, cet opéra étrange, bancal assurément mais gorgé de superbe musique, saurait offrir une belle soirée.

* Traduction A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2006

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CD Écho et Narcisse : Narcisse de Caravage

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