En 2016, pour commémorer le centenaire de la mort de son compositeur, on a joué Goyescas aux quatre coins de la planète, avec les difficultés toujours prévisibles dès que l’on programme une œuvre lyrique d’une durée d’une heure à peine. Pour un CD, cette brièveté ne devrait pas être un souci, or les versions discographiques de l’unique opéra de Granados se comptent sur les doigts d’une main. Dans ces conditions, il est encore plus dommage que le nouvel enregistrement, publié par Harmonia Mundi, pâtisse de ce qui ressemble fort à une terrible erreur de distribution.
La belle Nancy Fabiola Herrera chante Maddalena de Rigoletto à Paris ou à New York, Fenena dans Nabucco, Eboli ou Herodias : comment a-t-on pu croire un instant qu’elle pourrait revêtir la basquine et la mantille de Rosario ? Cette mezzo à la diction totalement floue – Joan Sutherland elle-même aurait pu lui donne des leçons en matière d’articulation des consonnes – compromet malheureusement ce nouvel enregistrement des Goyescas. Avec ce timbre sombre et ces aigus glapis, la belle Rosario n’est plus l’amante mais la mère de Fernando ; à en juger par l’oreille seule – et au disque, le moyen de faire autrement ? – si l’on n’est pas encore dans Les Vieilles de Goya, on s’éloigne déjà de ses Jeunes, pour reprendre le titre apocryphe des deux célèbres toiles conservées au Musée des beaux-arts de Lille. On peut comprendre que cette nouvelle version ait choisi de se distinguer de la dernière en date (qui remonte quand même à 1996), en prenant le contrepied de ses choix : là où Maria Bayo était une Rosario séduisante mais très légère, on fait ici retour à une certaine tradition qui confiait le personnage à une voix opulente, comme dans la version historique dirigée par Ataulfo Argenta. Hélas, n’est pas Consuelo Rubio qui veut, et le dernier tableau n’est guère agréable à écouter.
C’est d’autant plus dommage que pour le reste, tous les ingrédients, ou presque, étaient réunis pour une vraie réussite. Amoureusement dirigée par Josep Pons, qui a déjà gravé pour le même label plusieurs enregistrements mémorables à la tête d’orchestres espagnols, l’œuvre est défendue avec une élégance assez irrésistible et un solide sens du théâtre, comme on en jugera à l’audition des interludes séparant les trois tableaux. Dans cette partition élaborée à partir de compositions préexistantes, l’intrigue entre les personnages principaux peut sembler parfois bien mince, mais le chœur est extrêmement présent : absent seulement au dernier tableau, il incarne ces majos et majas que Goya a si souvent représentés. Le BBC Symphony Orchestra est une belle phalange, mais l’on pourrait reprocher aux BBC Singers une familiarité moindre avec le castillan, par rapport aux chœurs présents dans les intégrales concurrentes, et surtout une relative réserve qui rend leur présence moins affirmée : le son est beau, mais un peu moins vivant que ce n’est parfois le cas, fait d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’un live.
Pour les trois autres rôles solistes, le rôle de Pepa, en principe destiné à une mezzo, est ici assez logiquement attribué à une voix bien moins épaisse que celle de Rosario, ce qui aboutit à renverser à peu près complètement l’équilibre des voix : comparé à celui de Nancy Fabiola Herrera, le timbre Lidia Vinyes Curtis paraît presque acidulé, comme cela se produit lorsque l’on fait chanter Adalgisa à une soprano poids-plume à côté d’une Norma de format wagnérien.
Le baryton José Antonio López fait preuve d’une certaine truculence, mais le personnage de Paquiro a somme toute assez peu à chanter. A peu près inconnu au bataillon, le ténor Gustavo Peña tire fort bien son épingle du jeu, notamment dans le grand duo qui l’oppose à Rosario : malgré l’étrange partenaire qu’on lui associe, son Fernando reste dans le camp de la délicatesse et de la poésie.