Il y a deux ans, nous avions le plaisir de commenter la publication d’un album consacré à Nance Grant, chanteuse australienne absolument inconnue du public européen. Nous concluions notre article en regrettant que le soprano ne semblât disposer que d’un répertoire relativement réduit. Les mois ont passé, et ce nouveau coffret vient nous démontrer à quel point nous nous étions trompés puisque l’éventail des compositeurs abordés balaie un siècle et demi de musique, de Gluck à Strauss en passant par Wagner ou Donizetti ! Ces trois CD sont amoureusement assemblés par Brian Castles-Onion à partir d’enregistrements sur le vif, radio ou captés en salle, d’une qualité généralement correcte à quelques exceptions que nous évoquerons plus bas.
C’est en 1957 que Nance Grant, à l’age de 25 ans, commence à se faire connaitre en participant au Mobil Quest Competition puis à l’ABC Concerto and Vocal Competition, sortes de radio-crochets destinés à révéler de jeunes artistes australiens (citons, parmi les lauréats du premier, Joan Sutherland et Albert Lance). De ces années nous parviennent des extraits de Lucia di Lammermoor ou de La Traviata (tous les deux en anglais malheureusement) absolument étonnants. Pas de surenchères de suraigus dans les deux cas (quoique Grant offre le contre-ré de Lucia), mais l’essentiel du belcanto est là, avec une belle inventivité dans les variations, des vocalises impeccables, une bonne gestion des couleurs et une expressivité juste. On retrouvera vingt ans plus tard la même insolence vocale dans le réjouissant pot-pourri de la comédie musicale Balalaika, avec une vocalise d’entrée jusqu’au mi-bémol (un arrangement initialement écrit pour Joan Sutherland) !
Les années 60 nous valent des rôles lyriques majeurs: Amelia de Simon Boccanegra (une version télévisée à laquelle elle ne prête que sa voix dans une interprétation d’une étonnante maturité pour une artiste qui vient de passer la trentaine), Le Fils Prodigue, I Quattro Rusteghi et Dialogues des Carmélites : un éclectisme remarquable, facilité par l’emploi systématique de la langue anglaise qui simplifie tout de même l’apprentissage du texte. En ce qui concerne ce dernier ouvrage, l’usage de l’anglais a longtemps été la règle dans les pays anglo-saxons (même quand Régine Crespin chantait la Prieure au Metropolitan !). L’auditeur qui fera l’effort d’écouter ces extraits sans a priori sera séduit par une diction exemplaire, un timbre riche dont les couleurs variées illustrent toujours parfaitement le texte.
Quand le britannique Edward Downes devient directeur musical de l’Australian Opera, un nouveau volet s’ouvre pour la carrière de Nance Grant. Le disque préserve, dans un son correct, ses débuts en Maréchale du Rosenkavalier en 1972, un ouvrage où l’on est rarement excellente dès la prise de rôle, ce que l’extrait démontre une fois de plus, le timbre opulent ne suffisant pas à compenser un certain manque d’introspection. La Léonore de Fidelio, qui date de 1974, est en revanche d’une insolence totale. De larges extraits d’Orphée et Eurydice nous permettre de découvrir sa consœur Lauris Elms, beau mezzo inconnu (là encore), Grant assurant la partie d’Eurydice. Les extraits mozartiens ne convaincront que les oreilles les plus endurcies ; certes, on perçoit (avec un brin de nostalgie) une voix royale, mais la qualité sonore de ces enregistrements (provenant vraisemblablement d’un magnétophone dans la salle) est assez médiocre (le son est d’ailleurs plus écoutable au casque que sur une chaîne de salon). On fera le même constat pour la scène finale de Suor Angelica, interprétation qui manque toutefois d’expressivité « vériste » (je laisse aux curieux le plaisir de s’amuser à identifier la langue dans laquelle c’est chanté !). On comprend néanmoins qu’il était indispensable de les proposer au public actuel pour bien convaincre des incroyables ressources du soprano.
Des années 80, on retiendra de beaux Wagner, notamment une Senta dans la lignée de sa Léonore, avec des attaques aiguës impressionnantes, des vocalises parfaitement en place, de beaux abandons piano, mais surtout un personnage campé en quelques mesures. On appréciera également sa Sieglinde (en allemand cette fois) sous la direction attentive de Charles Mackerras, malgré un ténor au bord du dépôt de bilan à la fin de l’acte I. Retour à l’anglais cette fois pour sa dernière prise de rôle, une étonnante Elsa de Lohengrin, un rôle appris en seulement trois semaines du fait de la défection de la chanteuse initialement prévue. A l’écoute de ces extraits, on peut certes remarquer le début d’un vibrato un peu marqué, rien qui ne justifiât la fin d’une carrière cinq ans plus tard. Grant se consacrera dès lors à l’enseignement. En résumé, un étonnant panorama d’une artiste versatile, proposé dans un coffret qui offre l’avantage de ne pas comporter de doublon avec le précédent.