C’est beau, d’avoir de la suite dans idées. Voilà une qualité dont le label Timpani ne manque pas, puisqu’après avoir publié en 1999 un disque de mélodies de Guy Sacre, voilà qu’il en met un second sur le marché, avec exactement les mêmes interprètes qu’il y a dix-sept ans. En plus, Timpani s’écarte ainsi un peu de son cœur de cible : on reste certes dans le domaine de la mélodie française, mais il ne s’agit plus cette fois de raviver la mémoire d’un grand ancien, puisque Guy Sacre est bien de ce monde : né en 1948, ce compositeur français explore ce genre depuis 1976, année où il publia Cartes postales, sur des textes de Cocteau. Il aurait à présent écrit au total environ cent-vingt mélodies, ce qui le place parmi les plus prolifiques de nos compatriotes. Timpani s’est également intéressé à sa musique pour piano, et l’on sait qu’il a publié chez Laffont, dans la collection Bouquins, deux volumes totalisant trois mille pages, intitulés La Musique de piano, dictionnaire des compositeurs et des œuvres. Résolument indépendant, Sacre ne revendique l’appartenance à aucune école ; les uns diront que sa musique est démodée, les autres diront qu’elle est intemporelle. On y entend passer des échos des grands compositeurs français du XXe siècle, Poulenc, Satie, et bien d’autres, autant d’influences parfaitement digérées pour déboucher sur une écriture personnelle.
En 1999, Timpani livrait une première sélection parmi les recueils de mélodies de Guy Sacre, couvrant sa production depuis ses débuts jusqu’aux œuvres les plus récentes. Ce disque réunissait trois protagonistes. Un pianiste, Billy Eidi, amoureux de la mélodie, souvent sollicité par Timpani comme accompagnateur pour ses disques de mélodies d’autres compositeurs, mais aussi comme soliste : son Rossignol éperdu de Reynaldo Hahn, sorti en 2014, lui a valu un beau succès auprès de la critique. Sa présence s’imposait d’autant plus qu’il avait fondé avec Guy Sacre l’association Contrechants, qui a pour but de révéler au public un répertoire méconnu et présenter des conférences d’esthétique musicale et littéraire. Un baryton, Jean-François Gardeil, avec qui Billy Eidi avait remporté en 1985 le prix de la meilleure équipe chante-piano au concours international Francis Poulenc ; un baryton qui s’est fait rare sur les scènes lyriques, après un joli début de carrière au milieu des années 1980, dans le baroque, avec Jean-François Malgoire (Alceste, Platée) ou avec William Christie (Atys, David et Jonathas…), mais qui a su imposer une solide présence au disque comme interprète de mélodies françaises, pour Timpani (Maurice Delage, Sauguet, Chausson, Honegger) ou d’autres label (Milhaud chez Maguelone. Une mezzo un peu moins médiatisée, Florence Katz, à laquelle Timpani a confié plusieurs disques : Maurice Emmanuel, Milhaud, Chausson, Gabriel Dupont). En 2016, ce sont les mêmes qui reviennent, le même trio gagnant. Les mêmes, mais près de vingt ans après, donc plus tout à fait les mêmes en ce qui concerne les chanteurs, puisqu’une voix évolue nécessairement.
Si l’on retrouve intactes les qualités de diseur de Jean-François Gardeil, le timbre a peut-être perdu de sa fraîcheur dans l’aigu, mais sans que cela soit gênant. Quant à la voix de Florence Katz, elle s’est bonifiée avec les années : si elle semblait parfois manquer un peu de chair en 1999, ce reproche n’est plus vrai à présent, et la chanteuse s’épanouit particulièrement dans la série de mélodies inspirée par le Poil de Carotte de Jules Renard, où Guy Sacre laisse entrer le théâtre dans son œuvre. Cette intrusion est d’autant plus heureuse que le reste du programme n’évite pas toujours l’écueil d’une relative monotonie, en partie liée au caractère méditatif des textes retenus par le compositeur, qui exclut les éclats et les affects extrêmes, même lorsqu’il s’intéresse à une plume capable d’être aussi acerbe que celle de Max Jacob. Les mélodies sont très brèves, entre trente secondes et une minute et demie pour la grande majorité d’entre elles ; un univers en demi-teintes, loin des séductions faciles, à apprivoiser avec patience.