« C’est à son insu que Haendel, beaucoup trop pressé pour se soucier d’être original, imprime à ses œuvres une personnalité aussitôt reconnaissable : celle d’une musique colossale, édifiée par un homme d’une constitution herculéenne, qui se délivre avec bonheur dans cet énorme travail de ses réserves de sang et de vitalité comme il le faisait dans ses fameuses colères, y gagne l’équilibre et la sérénité dont rayonnent ses plus belles pages. C’est la musique la plus saine qui ait jamais été écrite ». On jurerait que Hervé Niquet a L’Histoire de la musique de Lucien Rebatet comme livre de chevet, tant sa conception des Coronation Anthems s’aligne avec celle de l’écrivain.
C’est d’abord une question d’effectif : avec deux timbaliers, huit trompettes, dix hautbois et six bassons, le chef n’y est pas allé avec le dos de la cuiller. Le choeur est en nombre plus raisonnable : 36 chanteurs, ce qui reste important pour les standards baroqueux actuels. Comme le chef le confesse lui-même dans la très belle notice d’accompagnement, il lui est arrivé d’être submergé par l’émotion et la rutilance de cette musique en concert, et son geste large rend justice à la pompe monarchique que Haendel entendait servir avec ferveur. Pas question cependant de se laisser griser par la pure ivresse du son. D’abord, le volume ne sature jamais, grâce à un geste qui sait s’alléger juste avant d’arriver à l’excès (et à un ingénieur du son diablement doué). Ensuite, les multiples nuances du texte liturgique et musical sont scrupuleusement respectées. Le Dettingen Te Deum, trop rarement programmé, en offre un bel exemple : après la monumentalité parfaitement assumée du IV « To Thee Cherubin and Seraphin », où les anges de tous types « crient » effectivement au pied du trône divin, le chef enchaîne avec naturel sur un « The glorious company of the Apostles » où le legato le dispute à la douceur, comme un souflle murmuré sur de la soie.
Les fugues, que Haendel adorait disperser dans ses œuvres au gré de sa fantaisie, sonnent avec une lisibilité parfaite. Elles comptent pourtant parmi les plus difficiles du répertoire choral. Proclamées avec une telle ferveur et autant de justesse, elles prennent place sans rougir aux côtés de celles de Bach, et on avouera volontiers s’être noyé avec délices dans ce flot musical presque océanique. Sans doute l’actualité récente, avec son focus sur la maison Windsor, n’est-elle pas étrangère à l’émotion qui se dégage de cet enregistrement.
Puisqu’il faut bien que la critique relève ce qui pourrait être amélioré, on notera une diction anglaise qui pourrait encore être travaillée, avec de « r » et des « th » qui sonnent un peu trop latins. Il faut aussi signaler que Niquet fait le choix de confier toutes les parties à son chœur, ce qui est très contestable au niveau musicologique. Mais que pèsent de telles arguties lorsque le grand Haendel nous prend dans ses bras et nous élève aussi haut ? Un disque comme il en faudrait plus … Après une telle réussite, qui fait suite notamment à un Messie de référence, Niquet nous doit absolument l’autre oœvre où la pompe haendelienne est à son apogée : Israel in Egypt.