Au printemps 1728, la Royal Academy fondée par Haendel agonise. Les « trois canaris » qui avaient rempli le King’s Theatre (le castrat Senesino, les cantatrices Cuzzoni et Faustina) ont plié bagages pour l’Italie et les caisses sont vides : la saison suivante est annulée. Mais le Saxon ne s’avoue pas vaincu : il part prestissimo pour la Péninsule recruter une nouvelle troupe. Guère prometteuse, à vrai dire : le nouveau castrat vedette, Antonio Bernacchi, est en fin de carrière, tandis qu’au contraire la soprano, Anna Strada del Po, débute – et pâtit d’un physique qui, à Londres, lui vaut aussitôt le charmant surnom de « the Pig »…
Haendel se remet en hâte au travail, rapetassant un livret de Salvi qui a le tort de ressembler beaucoup trop à celui d’Ottone (1722) – et dont le héros se nomme d’ailleurs aussi Ottone ! Qu’à cela ne tienne : il sera rebaptisé Lotario – empereur d’Allemagne chargé de secourir la reine lombarde Adelaide, capturée par ses ennemis Berengario et Matilde qui veulent lui faire épouser leur fils, le vertueux Idelberto.
Composée pour des voix que le compositeur connaît encore mal, la partition tâtonne, ce qui explique l’insuccès de ce Lotario, auprès des spectateurs de l’époque comme des interprètes d’aujourd’hui. L’ouvrage a néanmoins déjà eu droit à deux « intégrales » : l’une, abrégée, due à Alan Curtis (DHM, 2004), l’autre, captée dal vivo sur la scène de Göttingen, à Laurence Cummings (Accent, 2017).
Ici, c’est à un concert, également capté en direct, que nous avons affaire – ce que l’auditeur ne pourra guère ignorer, étant donné que les spectateurs s’appliquent à applaudir chaque morceau. En hésitant, parfois, sur le moment opportun, car certains airs se voient réduits à quelques mesures : Attilio Cremonesi a encore davantage taillé dans la partition que Curtis, supprimant la moitié des da capo, ainsi que la dernière aria de la basse (Clodomiro). Ajoutons que ces lourds ciseaux ont été maniés à tort et à travers, mutilant deux des plus beaux airs de l’œuvre, le mystérieux « D’una torbida sorgente » d’Adelaide et le poignant « Vi sento » de Berengario. Plus familier du répertoire du XVII° que de Haendel, Cremonesi a en outre opté pour une lecture décorative, mignarde, chambriste (orchestre réduit, archiluth proéminent, hautbois minuscule), auquel rythme et souffle font constamment défaut.
La distribution vocale, elle, promettait. Et, dans le rôle-titre, qui n’est pas le plus passionnant mais qui a été moins mutilé que les autres, Carlo Vistoli ne déçoit pas : jolies couleurs, virtuosité maîtrisée (« Vedro più liete e belle »), expression intense et poétique (« Non disperi peregrino »).
L’une des principales originalités de Lotario, par rapport aux ouvrages qui l’ont précédé, réside dans les parties des deux « méchants » : celle de Berengario, écrite pour le stupéfiant baryténor Annibale Pio Fabri (déjà distribué par Vivaldi dans l’Arsilda que vient de commenter Clément Demeure) et celle de Matilde, pour la sombre contralto Antonia Margherita Merighi. Deux parties qui s’avèrent trop graves pour les interprètes de notre disque, une Anna Bonitatibus classieuse, mais à la voix désormais ternie, et un Krystian Adam au rayonnant timbre mozartien, guère à l’aise avec les vocalises di forza dans le bas registre.
Le contre-ténor Rafal Tomkiewicz tire le meilleur parti de ce qui reste de son fade rôle et Ki-Hyun Park, en dépit d’une émission pâteuse, enlève avec un certain panache le superbe « Se il mar promette calma ». Quant à Francesca Lombardi Mazzulli, agile dans l’air le plus célèbre de l’œuvre (« Scherza in mar »), sa technique la destine également davantage au répertoire du Seicento qu’à celui de Haendel : registres disparates, ligne mal soutenue et brouillonne – rien qui convienne à la Strada, qui devait créer trois mois plus tard l’étincelant rôle-titre de Partenope et, cinq ans après, celui d’Alcina…