Heinrich Isaac, que l’on pourrait qualifier de « Josquin bis », si l’expression n’était péjorative pour une personnalité aussi forte, emprunta les mêmes voies que le Prince des musiciens. De Flandre à l’Italie, chez Laurent de Médicis à Florence tout particulièrement, puis à Vienne, où l’empereur Maximilien Ier le recruta, avec de nombreux voyages, il illustra aussi tous les genres, toutes les langues européennes. Isaac, comme Josquin, sont d’aussi admirables contrapuntistes, excellant dans l’usage du canon.
L’année Josquin aurait-elle contribué à remettre en lumière ses plus illustres contemporains ? On pourrait être tenté de le croire à la publication de ce CD centré sur l’œuvre religieuse de Heinrich Isaac. La chanson « Comment peut avoir joye ? » préexistait certainement à Josquin. Celui-ci en réalisa, vers 1490, une version à quatre parties, où le superius et le ténor chantent un beau canon à l’octave. A la même époque, Isaac fait de la mélodie le matériau de la plus ample de ses 36 messes, « Wohlauff gut Gsell von hinnen », cet intitulé étant la déclinaison germanique du titre de la chanson. Au départ, une version à quatre parties, florentine, qu’il recompose et amplifie pour six voix. C’est la seconde version, rare, que nous offrent les chanteurs de Cinquecento. La mélodie, simple, aisée à mémoriser, circule du superius à toutes les parties, sous toutes ses formes. L’architecture en est monumentale, c’est l’illustration aboutie du texte, au moyen de tout ce que l’arsenal musical offrait alors, du contrepoint ouvragé, du canon sous toutes ses déclinaisons, de l’homophonie comme de l’allègement. La virtuosité de l’écriture, au service du texte liturgique, toujours intelligible, s’y marie à l’expression la plus juste.
Des six motets que nous propose l’enregistrement, tous publiés dans des éditions modernes, nous retiendrons particulièrement le premier, à cinq voix, « Recordare Jesu Christe », écrit à Florence, et dont Isaac réalisa un ricercare pour orgue, à moins que la démarche ait été inverse. Mais, surtout, la déploration sur la mort de Laurent de Médicis (1492), « Qui dabit pacem », qui mérite d’être connue pour sa prodigieuse invention, source d’une émotion sincère. Le musicien quittera peu après la Toscane de Savonarole pour la cour de Maximilien à Vienne et Salzbourg. Les trois derniers motets, sur des motifs grégoriens, illustrent tout l’art du Flamand, et font partie des pièces représentatives de la grande tradition liturgique au tournant du XVIe siècle.
Cinquecento a choisi de tout chanter a cappella, à un par partie. Le large ambitus des voix, leur conduite (l’indépendance des lignes), la souplesse constante, la chaleur et les équilibres concourent au sentiment de plénitude grave dans lequel baigne le programme. Or la pratique attestée dans les grands édifices pour lesquels ont été écrites ces pièces était d’une autre nature : les voix étaient le plus souvent doublées par des vents (cornets et sacqueboutes) pour en accroître le brillant et jouer sur les couleurs comme sur les contrastes. On comprend mal l’option choisie, réductrice. Ce sera la seule réserve car le chant est irréprochable.
La notice, trilingue (dont le français), comporte les textes chantés et leur traduction en anglais, mais n’éclaire pas le choix interprétatif.