L’interminable guerre (« de trente ans ») n’a pas encore pris fin, aux terribles conséquences. Elle hante tous les esprits. La foi luthérienne, plus solide que jamais, est un refuge pour les croyants, à Dresde comme à Leipzig et dans une large partie de l’Allemagne. Alors âgé de 63 ans, Schütz, rassemble ses motets pour les adresser au conseil municipal de Leipzig et au chœur de la Thomaskirche, qu’avait dirigé son ami Johann Hermann Schein, disparu en 1630, et auquel il a dédié son motet funèbre « Das ist gewisslich wahr », à 6 voix. Délibérément, il revient à une écriture à mi-chemin entre la sévérité de la pratique a cappella de Lassus et le style concertato. Il renonce au continuo pour confier aux instruments qui le composent la doublure de certaines parties. Le riche contrepoint lui permet d’illustrer le texte biblique plus puissamment que jamais. Philippe Spitta, souvent cité, considérait que ce recueil magistral était « la plus belle composition de motets de son temps ».
Le titre du CD est quelque peu fallacieux puisqu’il laisse supposer à l’auditeur distrait, ou découvrant le recueil de 1648, que l’opus est enregistré intégralement, ce qui est techniquement impossible sur un seul CD, ni avec six chanteurs. De fait, sur les quinze pièces figurant au programme douze en sont extraites. Deux viennent des Petits concerts spirituels de son opus 8 (1636) et une de l’opus 9 (1839). On peine à comprendre les raisons de ce choix. Peut-être la volonté d’éviter une certaine uniformité de la formation, encore que le recueil appelle 5 voix pour les 12 premiers motets, 6 voix pour les 12 et suivants, et 7 voix pour les cinq derniers (la transcription d’une pièce de Gabrieli complétant l’ensemble). Ainsi, « Eins bitte ich vom Herren », confié à deux ténors, tranche-t-il par rapport aux formations à cinq voix entre lesquelles il s’insère. Il en va de même pour « Die Seele Christi heilige mich » (3 voix), et « Erhöre mich, wenn ich rufe » écrit pour deux parties de superius.
Evidemment on est très loin de ce que faisait, en 1962, Rudolf Mauersberger avec son Dresdner Kreuzchor, ou de Gardiner et le Collegium vocale de Gand, en 1988. Même si l’iconographie donne raison au premier (on ne compte pas moins de 23 chantres à côté de Schütz dans une célèbre gravure), le présent enregistrement fait le choix de confier chaque partie à un seul chanteur, ce qui semble aujourd’hui la règle. Seuls deux instruments, le violon et l’organo con legno, doubleront tel ou tel. Si la dynamique est moindre, la lisibilité des lignes, la compréhension des textes, la subtilité des modelés, des figuralismes y gagnent, manifestement, illustrant l’ascèse spirituelle et matérielle du temps.
La richesse de chacune des pièces appellerait un commentaire. Renvoyons l’auditeur curieux à la partition comme au monumental ouvrage consacré au compositeur par Hans Joachim Moser (non traduit en français). Dès la première plage, le jeu sur l’alternance de séquences entre un petit chœur de trois voix aigües et le tutti des six voix frappe par son ampleur, malgré la modestie de l’effectif. Le contrepoint hérité de Lassus et de Gabrieli s’y développe magnifiquement. La plénitude, le recueillement se conjuguent avec l’animation qu’appelle chaque texte. Les figuralismes font sens, d’une interprétation subtile. Généralement les tempi sont retenus, participant à l’atmosphère de dévotion. L’ensemble Polyharmonique, animé par Alexander Schneider, qui tient la partie de contra, se distingue par son équilibre, par l’homogénéité des voix, à la fois caractérisées et harmonieuses. Elles sont souples, familières de ce répertoire. La ferveur, les couleurs et le raffinement sont au rendez-vous. Les passages homophones comme les contrepoints sont lisibles et expressifs. Les doublures instrumentales se marient fort bien aux voix. Un enregistrement réalisé avec soin, qui se situe dans le haut du tableau.
A signaler que nulle part on ne trouve trace du minutage de chaque plage. La plaquette, bilingue (allemand – anglais) reproduit les textes chantés, leurs références, et leur traduction anglaise.