A l’issue de la recréation d’Uthal par le Palazzetto Bru-Zane, les avis étaient unanimes : pour l’occasion, on avait réuni la meilleure distribution possible, mais l’œuvre suscitait nettement moins l’enthousiasme. Avec Herculanum, la distribution est tout aussi brillante, mais la partition restera sans doute le véritable sommet de l’année Félicien David organisée par le Centre de musique romantique française. Voilà un opéra qui, bien qu’ayant sombré dans un oubli total, pourrait fort bien être remonté sur une scène un tant soit peu audacieuse.
Avec 74 représentations, Herculanum vient en quinzième position dans la liste des œuvres les plus jouées à l’Opéra de Paris durant la période 1851-1870, entre Hamlet d’Ambroise Thomas et Don Giovanni, et fait presque aussi bien que Les Vêpres siciliennes. Même si l’on est loin du triomphe des « blockbusters » de Meyerbeer (entre 200 et 300 représentations), il y avait là de quoi susciter une légitime curiosité, alimentée par la bonne opinion de Berlioz qui en avait salué les « nombreuses beautés ». Cette curiosité avait déjà été passablement aiguisée lors du concert versaillais, même si le grand opéra de David y apparaissait sous une forme hélas amputée par une indisposition de dernière minute. Heureusement, pour l’enregistrement préalablement réalisé en studio, les quatre rôles principaux étaient au mieux de leur forme.
Nicolas Courjal sera sans doute pour beaucoup de mélomanes la principale révélation de ce disque. Ayant enfin à interpréter un grand rôle (rôle double, même, puisqu’à mi-parcours, Satan en personne endosse l’identité du proconsul Nicanor), la basse française donne ici le meilleur d’elle-même. Pas vraiment de grand air, mais un duo au deuxième acte, un air avec chœur au troisième, et surtout quantité de récitatifs exigeant un véritable sens du théâtre et une solide personnalité.
Découvert avec Les Barbares de Saint-Saëns, Edgaras Montvidas offre à Hélios une voix rayonnante et un français excellent, qualités qu’on se réjouit de retrouver la saison prochaine dans le Dante de Benjamin Godard. Puisse-t-il trouver dans cette résurrection à venir les mêmes occasions de briller.
Véronique Gens l’avait prouvé avec les volumes successifs de la série Tragédiennes, et surtout dans le dernier : la musique du XIXe siècle lui convient à merveille, ce que confirme une fois encore sa prestation dans Herculanum. La voix est à l’aise dans l’ensemble de la tessiture sans jamais trahir l’effort, l’incarnation est admirable et l’on rêve de la réentendre dans bien d’autres œuvres du même type. Le disque offre à Karine Deshayes une superbe revanche sur l’aphonie qui l’avait frappée le soir du concert à Versailles, et l’on peut enfin écouter tous les airs alors coupés ou transposés. La mezzo les chante d’ailleurs avec un brio qui fait regretter le relatif effacement d’Olympia après un premier acte qu’elle domine entièrement.
En Magnus, Julien Véronèse montre que son talent est loin de se borner aux personnages comiques dans lesquels on a pu l’applaudir ici et là. Le Chœur de la radio flamande excelle une fois encore, grâce à la solidité de ses différents pupitres. Et Hervé Niquet défend avec fougue et conviction une partition qui n’attendait apparemment qu’un chef et un orchestre aptes à lui insuffler vie, ce dont le Brussels Philharmonic s’acquitte avec les mérites qu’on lui connaît désormais. Maintenant, on guette le retour sur une scène de l’auteur du Désert. Sinon Herculanum, au moins peut-être La Perle du Brésil ?