ICA Classics propose au public, quelques-unes des meilleures soirées historiques du Covent Garden dont est issu cet ultime témoignage de Maria Callas en Violetta. Ce précieux document est connu car il a déjà été publié à maintes reprises par des labels plus ou moins éphémères et confidentiels. Le principal attrait mais non des moindres, est un travail de mise en valeur sonore assez conséquent, rendant à cette soirée une place importante dans le legs de la Divina (désormais, on pourra le préférer à la captation « semi-officielle » de Lisbonne).
1958, une année charnière, après une décennie superlative, mythique et immolatrice. Année s’ouvrant sur le scandale de la Norma romaine et qui se clôturera, dans la grande tradition parisienne, avec des débuts trop tardifs en concert à Garnier. 1958 dont les principaux faits d’armes seront la reprise d’Anna Bolena et la prise de rôle d’Imogene d’Il Pirata, toutes deux à la Scala de Milan. On connait les sillons profonds que ces deux partitions phares traceront sur trois décennies, pour toute une kyrielle de cantatrices aux natures diverses mais ô combien enthousiasmantes. Cette année aussi voit les derniers rendez-vous avec Violetta, un des nombreux rôles marqués du sceau callassien : la fragile Traviata de Lisbonne, avec un jeune premier appelé à un avenir exemplaire, Alfredo Kraus. EMI finira par immortaliser une bande aléatoire afin de combler une des nombreuses inepties d’un catalogue contestable. Deux Violetta pour le Civic Opera de Dallas et entre les deux, cette série de Londres. Alors que sa production sonore est de plus en plus irrégulière depuis quelques mois, Maria Callas arrive affaiblie et malade à ces représentations qu’elle n’annulera pas, à grand renfort de piqûres entre chaque acte. A l’origine présentée comme une bande radio (politiquement plus correct), la soirée qui nous occupe est en fait, un pirate réalisé dans des conditions techniques assez exceptionnelles, si l’on considère les moyens d’enregistrement de l’époque.
Lors de cette soirée d’ouverture, on comprend dès les premières mesures du prélude (en duo avec Maria terminant de chauffer sa voix dans sa loge !) les limites de l’orchestre, fonctionnel et solide, auquel s’adjoindront des chœurs aux accents quelque peu routiniers. Nicola Rescigno s’en accommode bien et à l’écoute de cette baguette virile, rythmée certes mais ne s’embarrassant pas de détails, on se demande plus d’une fois comment le chef a pu trouver grâce aux yeux ou plutôt aux oreilles de Callas. Cesare Valletti (Alfredo) était déjà son partenaire à Mexico en 1951. S’il ne s’embarrasse pas de sa cabalette, le ténor est capable d’un certain lyrisme, d’une humanité touchante tout en évitant les effets véristes de collègues mieux dotés par la nature. Valletti comme beaucoup de ses contemporains, souffre surtout de la révolution dans la conception de l’art lyrique portée par Callas, et cela dépasse un art vocal et scénique. Le Germont père de Mario Zanassi est une bonne surprise. Voix jeune mais crédible, saine, bien conduite, l’équilibre de l’acte II lui doit beaucoup.
Demeure Maria Callas dans ce rôle dont elle a extrait tous les sucs vocaux et psychologiques. Vocalement, la soprano n’est comparable qu’à sa production. Celle des années 51-53, des flamboyances à jamais hors de portée, celle des années 55-56, de l’équilibre entre chant, style et drame (dans cet ordre uniquement car nous parlons opéra et pas théâtre) enfin, celle de cette année 1958 avec une artiste au sommet de son art, cette capacité unique à sculpter le son en plusieurs dimensions avec cet art de coloriste des voyelles et de mise en valeur des accents. On ne peut occulter un soutien irrégulier avec des effets qui deviendront rapidement des défauts (quelques sons de poitrine excessifs, un contre mib désormais inutile et laid). Elle ne fait pourtant aucune concession à la musique. La vocaliste se révèle en bien des points, miraculeuse dans l’expressivité des traits au premier acte. Quant aux deuxième et troisième, ils appartiennent à jamais à l’histoire du chant de ce demi-siècle grâce à cette capacité unique d’émouvoir par la conjugaison d’un art vocal et scénique.
Qu’en est-il de ce double héritage cinquante ans plus tard ? Peu ou rien, devons-nous tristement avouer. Ce n’est certainement pas l’effet de mode mis en lumière à Vienne ou au Met cette saison qui démentira ce douloureux constat.