Les éditeurs ont parfois de curieuses idées : certes, reproduire à l’identique un volume ancien est une opération peu coûteuse, mais qui vaut aux lecteurs francophones de pouvoir lire encore aujourd’hui certains chefs d’œuvre de la littérature étrangère dans des traductions anciennes lacunaires et truffées de contre-sens. On peut se demander quelles sont les motivations qui ont incité l’éditeur suisse La Bibliothèque des Arts à rééditer un ouvrage paru en 1869, intitulé Histoire de W.A. Mozart. Pourquoi diable le reproposer au public, alors que l’on dispose de biographies éclairées par les plus récents apports de la recherche musicologique ? On pourra faire observer la valeur historique du livre en question : il s’agit de l’une des toutes premières biographies du compositeur, due à Georg Nikolaus von Nissen, « Publiée par sa veuve Constance » – après la mort de Wolfgang Amadeus, Constanze avait épousé Nissen, diplomate danois –, « d’après des lettres et des documents originaux » (Leipzig, 1826). On peut donc s’attendre à une hagiographie fort peu critique, à un encensement en règle du cher disparu. Soit.
Oui, mais voilà, ce n’est pas tout. Un nom ne figure ni sur la couverture, ni dans les premières pages du volume, alors que son importance est primordiale. Et il faut attendre l’avertissement de l’éditeur pour le voir apparaître. En effet, l’ouvrage publié à Paris en 1869 se présente comme une traduction « d’après la grande biographie de G.-N. de Nissen ». Il s’agit en fait d’une « adaptation », d’une réécriture due à un certain Wojciech – dit Albert – Sowinski (1805-1880), pianiste et compositeur polonais établi en France à partir de 1830. On peut remercier monsieur Sowinski d’avoir décidé de compléter le volume qu’il « traduisait » en y ajoutant quantité de lettres découvertes par la suite et éditées par Ludwig Nohl en 1865, et dont plusieurs avaient été traduites en français par « le regrettable [sic] abbé Goschler » : Sowinski les reproduit ou, plus souvent, les résume. Le problème, c’est que, très vite, on ne sait plus vraiment de qui est le texte qu’on lit, et l’on devine qu’il est du « traducteur » bien plus que de « l’auteur », le récit qui figure entre les lettres se permettant des commentaires sur ce dont Nissen parle ou ne parle pas. Ce livre s’adresse clairement au lectorat français de 1869, puisqu’il y est régulièrement question des versions françaises des opéras données à Paris sous Napoléon III. Et il traduit les préjugés romantiques à l’égard de Mozart, à l’époque où Don Giovanni était vénéré comme un sommet indépassable alors que Così fan tutte était bon à oublier à cause de son livret.
Et là, on se dit que deux options auraient été préférables, mais certes plus onéreuses pour l’éditeur : soit commander une véritable nouvelle traduction du livre de Nissen, soit accompagner « l’adaptation » par Sowinski d’un appareil critique au lieu de la reproduire telle quelle. Cela aurait notamment permis d’éviter tout un lot de coquilles (l’italien est estropié, et les noms propres ne sont guère mieux traités), et peut-être même de compléter la vision nécessairement partielle qu’il propose, la pudibonderie du XIXe siècle ayant supprimé « des détails qu’une plume française ne pourrait écrire » ou « l’intempérance de langage » à laquelle il arrive que Mozart « se laisse aller ». Autrement dit, si vous voulez savoir quelle image on se faisait de Wolfgang Amadeus sous le Second Empire, ce livre est pour vous. Sinon…