Historique, le Ring de Melba Recordings ? Oui mais pas dans le sens que notre époque, prodigue en hyperbole, a coutume de donner à l’adjectif : mémorable, anthologique, inoubliable, inouï, dingue quoi. Historique parce que l’enregistrement appartient à l’histoire du disque. Capté en public fin 2004, il s’agit d’une première en Australie, qui plus est enrobé dans un paquet de choix : 4 carnets faisant office de coffret, d’une bonne centaine de pages chacun, avec synopsis, texte d’introduction à l’œuvre en 3 langues dont le français, et livret original traduit en anglais. Sans oublier l’essentiel, une prise de son SACD qui autorise la comparaison avec la version Solti, du moins dans l’esprit car pour le reste…
Pour le reste, autant la seule Walkyrie, examinée ici même lors de sa parution, laissait entendre des similitudes entre la direction d’Asher Fish et celle de l’illustre « Sir Georg » : un goût de l’effet, une volonté d’aller de l’avant coûte que coûte, sans trop d’introspection, ni de sous-entendus mais un lyrisme certain. Autant l’écoute du cycle complet modifie sensiblement l’impression première. Le discours, s’éloignant du modèle, abandonne toute idée de brillance pour apparaître dans son ensemble anguleux, pour ne pas dire aride, avec une recherche de la pulsation qui laisse souvent poindre l’os au détriment de la chair. Vision encore épique mais bilieuse qui refuse de rendre les armes, même lorsque la partition fait des concessions au pessimisme ambiant. Rien d’étonnant à ce que Siegfried avec son panthéisme, son enthousiasme juvénile et son duo d’amour classé X se présente alors comme le maillon faible et qu’a contrario, l’inquiétude qui ronge Le crépuscule des dieux s’imprègne d’une noirceur fascinante, au risque de frôler la neurasthénie. Conception tragique donc, rythmique aussi, avec quelques partis-pris de lenteur surprenants (le finale de L’Or du Rhin, le prélude du 3e acte de Siegfried), qui à défaut de délivrer des prodiges de sons, apporte un éclairage différent, voire pas d’éclairage du tout tant le résultat peut parfois sembler sombre.
La comparaison avec la version Solti s’arrête là, l’équipe réunie autour d’Ascher Fisch ne pouvant prétendre rivaliser avec le fleuron du chant wagnérien convoqué par Decca en 1959. A défaut, la cohérence forme la première de ses qualités. D’une œuvre à l’autre, les mêmes interprètes se chargent des mêmes rôles, exception faite de Siegfried dont il faut deux chanteurs pour venir à bout : Gary Rideout dans la deuxième journée puis Timothy Mussard dans la troisième, aussi chétifs l’un que l’autre malheureusement. On passera vite sur le Wotan brutal au débit haché de John Bröcheler et la Brünnhilde massive de Lisa Gasteen qui s’accomplit mieux cependant dans Götterdämmerung que durant les deux premières journées ; question d’aigu et de tempérament. L’accablement désespéré qui dicte l’immolation finale vaut le détour. Elizabeth Campbell fait de Fricka une marâtre quand d’autres ont montré que l’épouse de Wotan pouvait avoir, tout au moins dans Die Walküre, une stature de reine. Deborah Riedel en Sieglinde peine aussi à faire oublier ses illustres devancières.
C’est ailleurs que l’on trouvera son plaisir car la distribution réserve tout de même plusieurs bonnes surprises : le Mime visqueux de Richard Greager ; les graves sépulcraux du Fafner de David Hibbard, l’ample contralto de Liane Keegan, Erda rêveuse dont chacune des apparitions suspend le temps et qui vole sans mal la vedette à Wotan dans le troisième acte de Siegfried ; le bronze noir et le mordant de John Wegner propres à donner des frissons. Malédiction vertigineuse dans L’Or du Rhin, présence délétère dans Siegfried et Le Crépuscule, son Alberich est d’une haine exaltante. Et, last but not least, Stuart Skelton dont le Siegmund, poétique et héroïque à la fois, demeure un miracle.
Christophe Rizoud