I Due Foscari est l’un des opéras de jeunesse de Verdi qui a le plus de mal à revenir régulièrement au répertoire : la faute en est à un sujet uniformément noir (Verdi lui-même qualifiera plus tard l’œuvre d’« enterrement », mais l’ouvrage reste l’opéra préféré des dentistes). Don Carlos et Simon Boccanegra ne sont pas précisément joyeux, mais ces œuvres ne manquent pas de rebondissements dramatiques et de variété dans la composition. I Due Foscari n’est qu’un lent effondrement, avec des rôles-titres ectoplasmiques, sans véritables ressorts susceptibles de faire évoluer l’action et de donner lieu à des scènes diversifiées. Le livret nous précise que le Doge Francesco Foscari est octogénaire, ce qui donne au moins une raison à Placido Domingo d’avoir mis ce rôle de baryton à son répertoire. Les faits ayant inspiré Byron sont d’ailleurs historiques. Jacopo Foscari, le fils du doge, est jugé pour meurtre par le Conseil des Dix (dont son père fait partie), à l’instigation de Jacopo Loredano (et oui : ils s’appellent tous les deux Jacopo). Loredano est le chef de la faction ennemie et a juré de se venger du Doge dont il est convaincu qu’il a fait assassiner son père Pietro et son oncle Marco (ces circonstances ne sont pas détaillées dans le livret). Jacopo Foscari est condamné à l’exil perpétuel, en dépit de ses protestations d’innocence et des supplications puis de la colère de son épouse, Lucrezia (on aura reconnu ici le prétexte à air et cabalette). Papa se lamente. Fiston a des visions d’horreur dans sa cellule avant d’être emmené devant ses juges pour que le soit signifiée la sentence. Le Doge invite son fils à se soumettre. Lucrezia vient pleurer avec sa marmaille, peine perdue : comme dans La Belle Hélène (mais en moins drôle), Jacopo part pour la Crète. Alors que la foule et Loredano assistent à la régate, Jacopo fait ses adieux à son épouse. Francesco Foscari apprend qu’un vieillard mourant a confessé être le seul auteur du meurtre imputé à Jacopo, mais la nouvelle arrive trop tard : Lucrezia annonce la mort soudaine de son époux (mal de mer ?). Le Conseil des Dix demande au doge d’abdiquer et celui-ci s’exécute. Quand il entend le canon tonner pour annoncer l’élection de son successeur, il meurt. Loredano se réjouit : « Pagato ora sono ! » (« Maintenant, je suis payé ! »). Verdi chez les losers. L’œuvre est créée en 1844, soit après Nabucco (1842), I Lombardi alla prima crociata (1843), Ernani (1844), et avant Attila (1846) et Macbeth (1847), ouvrages autrement inspirés. Seuls Alzira (1845) et Giovanna d’Arco (1845) témoignent d’une même baisse de régime. Après un succès initial, l’opéra disparait des scènes. Si on y trouve l’allant du Verdi de jeunesse, les même structures à succès, les couleurs mélancoliques de Simon Boccanegra, une orchestration fouillée, la partition pâtit du manque d’empathie de l’auditeur pour le sort des personnages. Même les chœurs « patriotiques », typiques de ces années de composition, tombent à plat puisque la foule y chante sa détestation des Foscari. Cerise sur le gâteau, l’ouvrage réclame une distribution de premier ordre.
Vladimir Stoyanov est un Francesco Foscari au timbre clair et qui ne fait pas son âge (théorique). La voix du baryton bulgare est affectée de temps à autres d’un peu trop de vibrato et de quelques graillons, mais l’aigu est brillant. L’interprétation est sensible et noble, réussissant à faire passer l’émotion. Lauréate d’Operalia en 2008, née en 1984, Maria Katzarava parait bien jeune et insuffisamment dotée pour ce rôle de grand drammatico d’agilita di forza (comme disent les spécialistes de la spécialité). Dès son entrée, elle doit offrir un saut de deux octaves entre le si aigu et le si grave (on pense bien sûr à l’Abigail de Nabucco). La vocalisation du soprano mexicain (d’origine ukrainienne) manque d’agilité, avec des trilles à peine esquissés voire esquivés. Avec peu de ressources dans le grave et le bas medium, la voix manque de largeur de timbre. L’aigu est tendu, et sa cabalette (avec quelques variations toutefois) la montre un peu à bout de souffle. Stefan Pop chante essentiellement en force. Le ténor roumain y met du cœur, mais ses problèmes de souffle et d’agilité sont trop criants. Il semble courir après un orchestre qui pourtant semble l’attendre. Dans un rôle peu doté, Giacomo Prestia est impeccable de style. A la tête d’une formation orchestrale en petite forme, Paolo Arrivabeni fait de son mieux pour insuffler un esprit de troupe à cet assemblage hétéroclite et y parvient globalement. Les chœurs sont excellents et offrent les passages les plus réjouissants. Enregistrée sur le vif, la soirée existe également en DVD.