Voilà un enregistrement bienvenu dans la vidéographie plutôt restreinte du quatrième opéra de Verdi qui ne comportait jusqu’ici que deux versions, l’une filmée à la Scala en 1984 avec José Carreras et Ghena Dimitrova et l’autre, captée à Parme en 2009, avec déjà Francesco Meli dans le rôle d’Oronte.
Enregistrée à Turin au printemps dernier, la production signée Stefano Mazzonis di Pralafera, actuel directeur de l’Opéra Royal de Wallonie, a déjà été proposée à Liège en 2017 pour les représentations de Jérusalem. Le metteur en scène joue la carte de la fidélité au livret même si les décors, certes traditionnels, n’évoquent que très vaguement les lieux dans lesquels l’action est censée se dérouler : une façade d’église impersonnelle pour figurer la basilique Saint Ambroise au premier acte, des arcades dans le style arabe pour le palais d’Acciano et le harem, des blocs de pierre inclinés pour la caverne de l’ermite. Les costumes de Fernand Ruiz, notamment ceux des hommes, évoquent davantage l’univers des Hobbits que le onzième siècle, ceux des femmes du harem aux teintes chatoyantes sont plutôt seyants ; en revanche celui de de Giselda, particulièrement disgracieux, n’avantage guère la cantatrice. Quant à la direction d’acteurs, minimaliste pour ne pas dire inexistante, elle aligne une série de postures stéréotypées pour coller aux différentes situations que propose l’intrigue. Le statisme des ensembles est compensé à l’écran par une succession de plans rapides, montrant tour à tour les divers protagonistes.
On l’aura compris, l’intérêt de cette vidéo est ailleurs. Si ce que l’on voit, sans être rédhibitoire, ne soulève guère l’enthousiasme malgré la qualité de l’image, ce que l’on entend est d’une toute autre trempe. La distribution ne comporte aucune faiblesse, à commencer par les deux mères, Lavinia Bini et surtout Alexandra Zabala qui, dotée d’une voix bien timbrée, se révèle également fine comédienne. Giuseppe Capoferri est un Acciano bien chantant, Antonio di Matteo campe un Pirro imposant au timbre sombre particulièrement convaincant au II dans sa scène avec l’Ermite. Giuseppe Gipali possède une voix claire et des aigus solides, vocalement son Arvinio s’avère irréprochable. Au troisième acte, sa grande scène « Che vid’io mai » chantée avec une belle autorité est particulièrement convaincante. Alex Esposito fait une démonstration éblouissante de son talent dans le rôle ambigu de Pagano. Aussi crédible en méchant jaloux et vindicatif au premier acte qu’en ermite repentant et soumis à partir du II, son air « Oh quando, quando al fragor dell’aure » est un modèle d’intériorité, avec une voix ample et nuancée qui se joue des difficultés de sa partie grâce à une maîtrise souveraine de la grammaire belcantiste. Francesco Meli trouve en Oronte un rôle idéalement adapté à ses moyens. Comme l’a démontré son Ernani à Marseille la saison passée, les œuvres du jeune Verdi conviennent à sa voix de ténor lyrique, il peut y déployer une ligne de chant à la fois élégante et racée dans le célèbre « La mia letizia infondere » tandis que sa longue fréquentation du répertoire belcantiste lui permet d’aborder sans difficulté la cabalette « Come poteva un angelo » dont la reprise piano est particulièrement séduisante. Enfin Angela Meade maîtrise la tessiture du soprano dramatique d’agilité dont elle possède les graves sonores et les aigus percutants. Son art des sons filés fait de son grand air du deuxièmea acte « Oh madre, dal cielo soccorri » l’un des sommets de cet enregistrement tout comme la cabalette qui suit « No ! No ! Giusta causa non è », dont elle surmonte les nombreuses difficultés avec une agilité vocale confondante et un investissement théâtral impressionnant.
A la tête de l’excellent orchestre du Teatro Reggio de Turin, Michele Mariotti propose une direction soignée et inspirée, énergique quand il faut sans jamais être vulgaire avec des moments d’une rare poésie comme cet étonnant solo de violon au début du troisième acte.