N’en déplaise aux amateurs de regie-theater trash, ce film de la BBC constitue un témoignage passionnant de ce que les artistes britanniques étaient capables d’offrir à la fin des années soixante, en particulier en matière de chant mozartien : style, élégance, art du phrasé, et de surcroît, investissement dramatique…
Quant à Benjamin Britten, il n’est pas en reste au pupitre. Certes, sa direction aux tempi souvent étirés, mais par ailleurs ô combien juste et inspirée, incontestablement raffinée et poétique, risque de défriser quelque peu les baroqueux purs et durs… Il n’empêche qu’à l’heure où la cuvée aixoise 2008 ne s’illustre guère en matière de réussite mozartienne, il faut bien reconnaître qu’on tient là une très belle version de cet opéra, qui fut souvent et à tort – considéré comme mineur dans l’œuvre de Mozart et auquel Glyndebourne – encore l’Angleterre ! – avait d’ores et déjà rendu ses lettres de noblesse à travers des productions et enregistrements fameux…
Certes, Peter Pears n’aura jamais vraiment eu les moyens du rôle-titre, mais quelle noblesse, quelle pureté dans l’émission et quel investissement !
De plus, l’œuvre est chantée en anglais, mais curieusement, on l’oublie très vite, tant les interprètes, dans leur ensemble, sont exceptionnels.
Enfin, les coupures pratiquées sont nombreuses et concernent surtout les ballets et le mythique – et redoutable – « Fuor del Mar », ce que l’on peut, certes, regretter. Mais, soyons honnêtes : Peter Pears, malgré toutes ses qualités, aurait eu quelque difficulté à parvenir au bout de cet air terrible qui a mis en péril bien des ténors pourtant plutôt vaillants…
Autre atout majeur de cette distribution : la magnifique Heather Harper, royale en Ilia, qui utilise avec une infinie délicatesse toute la palette de son timbre séduisant et moiré.
Quant à Rae Woodland, son interprétation du rôle d’Elettra, qui allie une forte présence scénique à un art consommé du chant, est tout bonnement fascinante et captive aussi bien dans l’élégie que dans les arie di furore. Il convient de préciser qu’elle a étudié le chant avec Roy Henderson, le professeur de Kathleen Ferrier, et que, last but not least, au cours d’une master class au Wigmore Hall avec Lotte Lehmann, elle fit si forte impression sur l’illustre cantatrice, qu’elle obtint une bourse pour l’Ecole d’Opéra de Londres et par la suite se vit proposer de nombreux engagements. Il est d ‘autant plus regrettable que cette artiste étonnante, capable de chanter, outre Elettra, des rôles aussi différents que la Reine de la Nuit, Vénus de Tannhauser, Fiordiligi, Odabella et Miss Jessel de The Turn of the Screw, ait été aussi peu connue en dehors de son pays, où elle fit, il est vrai, une grande carrière. Elle donne d’ailleurs régulièrement, encore aujourd’hui, des master classes.
La seule faiblesse de la distribution – et encore toute relative – est le choix d’Anne Pashley pour Idamante. Non que l’artiste ait démérité, loin de là, mais cette jolie soprano, par ailleurs sportive de haut niveau, a plutôt chanté des rôles assez légers, comme Barbarina des Noces, et à l’écoute, sa voix fraîche et fruitée, son timbre clair, évoquent plus Susanna que le jeune prince, qui est quand même un homme fait et non un adolescent comme Cherubino. Certes, son style est irréprochable, et sa plastique impeccable – on comprend pourquoi – et elle est très crédible en jeune homme, du moins physiquement, mais on a depuis entendu dans ce rôle (où le jeune Pavarotti s’était illustré dans la version ténor avant de triompher plus tard dans le rôle-titre) des voix féminines plus pulpeuses et plus corsées, a la personnalité plus marquée, telles Janet Baker, à laquelle Britten avait d’ailleurs songé, mais qui n’était pas disponible.
De plus, Harper et Woodland ayant toutes deux des timbres plutôt clairs, pour le coup, celui de Pashley ne se démarque pas assez, compromettant quelque peu la balance des voix féminines. Dans un tel contexte, un mezzo plus sombre et plus charnu eût été plus adéquat.
Dans le rôle d’Arbace, on retrouve avec plaisir le jeune Robert Tear, faisant déjà montre du talent que l’on sait, quant aux autres comprimari et aux chœurs, ils sont parfaits.
Côté scène, on connaît l’historique de la production, conçue pour le Festival d’Aldeburgh de 1969 et qui devait être enregistrée pour la télévision : après le concert inaugural, et trois jours avant la première d’Idomeneo, le bâtiment fut ravagé par un incendie, qui entraîna la destruction de la salle, des décors et d’une partie des costumes. L’acharnement des interprètes pour remonter en hâte le spectacle fut extraordinaire : Idomeneo eut lieu, sans décors et avec des costumes empruntés à une autre institution, dans une atmosphère de tension et d’incandescence inoubliable.
L’enregistrement pour la télévision fut réalisé plus tard, au London Opera Center, les 8 et 9 septembre 1970, avec la même distribution, avec les costumes originaux de l’EOG et dans de nouveaux décors conçus tout spécialement par David Myerscough-Jones.
Encore une fois, c’est une très bonne surprise. Certes, certains esprits chagrins pourront trouver la mise en scène très, voire trop « classique », mais les décors et les costumes, surtout, sont de très bon goût, celui d’Elettra en particulier, assez original et d’une modernité étonnante.
Pour ce qui est du tournage, l’image est de très grande qualité, avec des couleurs et des éclairages superbes, le grand Brian Large, il est vrai, était aux commandes. En bonus, le premier DVD comporte une présentation de toute la collection Britten/Pears.
Somme toute, malgré le caractère incontestablement british de l’entreprise, comme l’introduction de l’opéra par John Warrack, très smart en costume cravate, il s’agit d’une réalisation de haute volée concernant une œuvre pour laquelle nous possédons, d’ores et déjà, il est vrai, d’incontournables références, comme la version du Met, récemment rééditée en DVD, dirigée par Levine et mise en scène par Ponnelle, avec Pavarotti, Von Stade, Behrens et Cotrubas, le magnifique enregistrement discographique de Gardiner, sans oublier, bien sûr, les diverses captations pirates de Glyndebourne avec Richard Lewis en Idomeneo, Pavarotti en Idamante et Jurinac ou Janowitz en Ilia.
En conclusion, malgré les quelques réserves émises plus haut, c’est un coffret qu’il convient d’acquérir, surtout si l’on aime Mozart, Idomeneo, et l’école de chant anglaise.
Juliette Buch