Les disques thématiques ont depuis quelques années la cote, et constituent une alternative bienvenue aux hommages aux interprètes d’un passé plus ou moins proche. En 2008, Stéphanie d’Oustrac avait ainsi pu composer un récital autour de plusieurs Médée françaises de la deuxième moitié du XVIIe siècle, et bien d’autres artistes ont proposé des programmes de ce genre.
Dans le cas de Nicolas Achten, la démarche est un peu plus prévisible, peut-être, car on sait bien que le mythe d’Orphée a présidé à la naissance de l’opéra : sous le même titre, Il Pianto d’Orfeo, le ténor Kobie Van Rensburg avait gravé en 2009 des airs empruntés aux partitions que le mythe d’Orphée a inspirées à Peri, Caccini, Monteverdi, Landi et Charpentier. Pourtant, la démarche du chef, instrumentiste et chanteur bruxellois – sur le présent disque, il dirige, chante, joue de la harpe, du théorbe, du clavecin et du ceterone – présente notamment l’intérêt de juxtaposer les différentes mises en musique d’un même livret. Le texte écrit en 1600 par Rinuccini fut ainsi utilisé par Peri et Caccini, chacun élaborant sa version de L’Euridice ; Nicolas Achten a d’ailleurs enregistré celle de Caccini en première mondiale en 2008 (voir l’interview qu’il avait alors accordée à Forum Opéra). Autour de cinq grandes œuvres lyriques, il compose cette fois un parcours qui suit les étapes des amours et des malheurs d’Orphée, entrelaçant les pièces vocales de morceaux instrumentaux. En fait, les musiques ici rassemblées couvrent près d’un siècle, depuis les intermèdes écrits pour La Pellegrina en 1589 jusqu’à L’Orfeo d’Antonio Sartorio (1672), et nous transportent de Florence à Venise en passant par Paris, où Luigi Rossi livra son Orfeo en 1647 et, l’année suivante, une pièce instrumentale dotée d’un titre français renvoyant au même Orphée. Et bien sûr, la part du lion revient à L’Orfeo de Monteverdi, dont sont réunies quelques-unes des plages les plus célèbres.
Avec une dizaine de musiciens, l’ensemble Scherzi Musicali ne prétend pas rivaliser avec les formations opulentes employées par certains chefs, mais propose une approche plus chambriste dont la délicatesse convient aux voix qui donnent corps à ces différentes incarnations d’Orphée, et d’Eurydice, car l’héroïne du drame n’a pas été oubliée. La voix très droite de la soprano britannique Deborah York, présente seulement sur cinq plages très brèves, passe très bien dans un air rapide comme « All’imperio d’Amore » de Rossi ; les morceaux moins allants soulignent en revanche une certaine froideur, alors qu’un peu plus de sensualité n’aurait pas été malvenu. C’est néanmoins Nicholas Achten que l’on entend surtout, avec douze plages pour lui seul, dont le « Possente spirto » de Monteverdi, qui dure un peu plus de dix minutes. L’Orfeo étant désormais une œuvre inscrite au répertoire, le mélomane aura sans doute bien d’autres versions à l’esprit. De cet Orphée-là, on connaît des interprétations par des ténors comme par des barytons, par des « voix d’opéra » ou par des chanteurs au volume moins imposant. Nicolas Achten opte pour une approche pudique et méditative plutôt qu’extravertie, qu’on n’imaginerait pas forcément sur une scène de théâtre, mais qui se défend dans le cadre plus intime d’une évocation des larmes du chantre de la Thrace, où moins qu’aux effets purement vocaux, c’est à la déclamation et l’expression des affects que l’auditeur s’intéresse.