Knoxville : Summer 1915 de Barber est une rhapsodie lyrique, selon ses propres termes, modelée d’un grand geste spontané tout comme le poème dont elle est inspirée. Barber y met en musique une nuit idyllique dans la ville natale du poète James Agee où la nostalgie est ubiquiste : tout comme Agee, le compositeur a écrit ces pages très personnelles alors que son père était à l’article de la mort.
Les Nuits d’été de Berlioz, pionnières du genre de la mélodie romantique avec accompagnement d’orchestre, ne sont plus à présenter. Rappelons cependant que Berlioz a orchestré sa première version pianistique avec l’idée de pouvoir distribuer les six mélodies à des voix différentes. L’interprétation mono-vocale du cycle, avec transpositions, s’est imposée au fil du temps (exception faite au disque de quelques versions : Gardiner, Boulez…) et pose la question de l’adéquation idéale à un type de voix. A moins de posséder un instrument hybride (on pense évidemment à Régine Crespin ou à Véronique Gens), les écarts acrobatiques de tessiture engendreront toujours leur lot d’inconfort et de singularités.
Les Illuminations de Britten enfin, réunissent des poèmes en prose de Rimbaud en neuf mélodies. Ce foisonnement de fantaisie a trouvé ses racines dans les délires du jeune poète. Considéré comme un chef-d’œuvre du genre pour la première moitié du 20e siècle, ce cycle a été créé à Londres au début de la seconde guerre mondiale par Sophie Wyss. Mais comme souvent, c’est surtout Peter Pears sous la baguette du maître, qui a contribué à sa diffusion.
Ce triptyque est un choix très ambitieux pour un premier disque. Anne-Catherine Gillet, à l’invitation de l’Orchestre Philharmonique Royal de Lège, propose un bel instantané de ses possibilités vocales. La baguette assurée de Paul Danel l’enveloppe tout au long du disque de couleurs chamarrées.
La pièce de Barber tout d’abord est un préliminaire savoureux aux deux cycles majeurs qui suivront. Tout à fait à l’aise en diseuse tantôt enfantine, tantôt grave, Anne-Catherine Gillet nous emmène sans peine dans cet univers chimérique. Son anglais aurait probablement pu être un peu plus brumeux mais il est du moins intelligible et la spontanéité de son interprétation est appréciable : voilà une digne succession à Eleanor Steber, qui avait commandé et créé l’œuvre.
L’approche des Nuits d’été a quelque chose de déconcertant pour les oreilles habituées aux grands sopranos lyriques et aux mezzos charnus. Ici, tout cherche l’épure – un peu à la manière d’un Herreweghe qui a voulu mettre Brahms au régime pour nous le rendre moins patibulaire. C’est donc sans références parasites qu’il faut aborder cette interprétation pour en goûter la clarté diaphane, la diction intelligible de bout en bout et la simplicité du mot comme vecteur d’émotion. On peut probablement reprocher (au chef ?) un tempo un peu trop poussif dans la Villanelle et quelque peu précipité dans le Spectre de la Rose, ça et là des respirations surprenantes, mais cette version fraîche ne manque pas pour autant de ligne, de caractère et d’authenticité.
Les Illuminations enfin méritent tous les éloges. La soprano belge y déploie une énergie inouïe. L’engagement sans réserve, avec du mordant dans la diction, des aigus magnifiquement projetés et une voix toujours généreusement timbrée, hisse cette version parmi les meilleures. Anne-Catherine Gillet fait siennes les exaltations poétiques et musicales avec une évidence de ton et de caractérisation. Elle se joue également des contrastes fulgurants entre les passages de bravoure, de pure folie et de sensualité avec une facilité déconcertante. Il est vrai que la soprano a déjà du métier, mais pas seulement : elle est une incroyable musicienne et c’est avec impatience que l’on peut attendre ses prochains disques et, espérons-le, d’autres prises de rôles à la hauteur de son talent.
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