On serait en droit de croire que la crise du disque a limité les producteurs dans leurs velléïtés, que chaque entreprise d’édition discographique doit désormais être savamment pesée, tant le risque financier est lourd, dans un marché où les galettes ne se vendent plus qu’au lance-pierre. Or voilà bien un disque qui ne s’imposait pas. Voilà bien un disque qui, au delà de ses qualités réelles, n’a aucune place sérieuse à tenir.
Tout d’abord s’étonnera-t-on d’un programme hybride, dominé par Verdi mais dont l’homogénéïté philologique doit encore être démontrée : quel lien – vocal, musical, historique, stylistique – y a-t-il entre le compositeur précité et Dvorak, Mozart et Puccini ? On a du mal à saisir. On comprend bien vite que ce grand concert live, censément fourre-tout, aura servi de prétexte. Mais de prétexte à quoi ?
Historiquement, le live s’est évertué à réparer de grandes injustices. Qu’on pense à tous ces géants – Gencer en tête – dont la postérite s’assoit sur la seule existence de bandes radio. Il nous y manquait généralement la netteté et la précision du studio, le son cristallin d’un micro méticuleusement posé, la pâtine de la post-production, mais on y gagnait en vie, en élan et en électricité. Pourtant ce live-ci n’a rien des qualités précitées. On y découvre un Dmitri Hvorostovsky dans une forme honorable, presqu’en pilote automatique. La prise de son le dépare de ses belles harmoniques et il semble se promener dans ce programme sans queue ni tête avec une réelle indifférence. Jamais mis à mal, jamais mis en valeur, c’est du chant les-mains-dans-les-poches et la fleur au bec. Quand on connaît la valeur de cet artiste et la qualité de ses enregistrements, il y a de quoi pester.
Tout l’intérêt repose dès lors sur Sondra Radvanovsky, dont le legs discographique est nettement moins foisonnant. On appréciera ce frémissement dans le bas médium et ce phrasé exemplaire, on admirera cette véhémence retenue et incroyablement élégante, ce port velouté et cette ardeur en demi-teintes, mais le live a ici aussi ses cruautés et souvent la surprend-on à perdre le contrôle de son instrument, tantôt dans des aigus accidentés (Tosca), tantôt en baisse de régime (Il Trovatore, commencé sur les chapeaux de roue qui s’achève sur des sonorités pâles et mesquines). Le bilan est mitigé, surtout que Constantine Orbelian promène son orchestre avec efficacité mais sans réelle conviction.
Hélène Mante