Alors que le Corsaire de Verdi est un opéra assez sous-représenté au disque, il est pour le moins fâcheux que ce nouveau DVD, qui aurait pu offrir une réelle alternative à la version parue chez Dynamic en 2005, propose en fait la même production, seule la distribution étant différente ! A quoi pensent donc les décideurs qui choisissent quels spectacles méritent d’être immortalisés par une captation vidéo ? Surtout, où avaient-ils la tête (et les yeux), lorsque l’Opéra de Zürich programmait en 2009 ce même Corsaro dans une mise en scène autrement plus inventive, due à Damiano Michieletto (un nom qu’on regrette fort de ne voir figurer nulle par dans cette intégrale Verdi), et avec une distribution de premier plan, incluant dans le rôle-titre Vittorio Grigolo, autre nom qui aurait dû avoir sa place dans l’entreprise « Tutto Verdi », mais que l’industrie du DVD semble jusqu’ici curieusement éviter (et autour de Grigolo, il y avait à Zurich des personnalités comme Elena Mosuc, Carmen Gianattasio ou Juan Pons).
Trêve de gémissements, penchons-nous plutôt sur ce nouveau Corsaro. A moitié nouveau, seulement, puisque la production était déjà connue : Lamberto Puggelli se contente d’illustrer l’action, sa seule audace, toute relative, consistant à situer sur des bateaux les premier et deuxième actes, alors que seul le troisième doit s’y dérouler selon le livret. Modification par rapport à la captation de juin 2004 : celle de 2008 a eu lieu non pas au Teatro Regio de Parme, mais au Teatro Verdi de Busseto, charmante bonbonnière où les éléments de décor ont tendance à se bousculer (la scène de l’opéra de Parme est presque deux fois plus large !), rendant encore un peu plus naïf ce mélodrame caricatural dont on nous offre ici une vision entièrement au premier degré : odalisques infortunées et méchants turcs, gestes grandiloquents souvent ridicules. Autrement dit, électroencéphalogramme plat, et il est difficile devant son écran de partager l’enthousiasme de notre collègue Christophe Rizoud qui était présent dans la salle (voir compte rendu).
La distribution réunit principalement des chanteurs encore jeunes, dont rien ne garantit qu’ils feront jamais une grande carrière. Il est sans doute bon que ces artistes puissent se produire dans une salle aux dimensions très réduites, afin de ne pas surexposer des organes encore fragiles, mais le résultat mérite-t-il d’être immortalisé en DVD ? Outre Renato Bruson en Seid, la version Dynamic 2005 alignait Zvetan Michailov en Corrado, Adriana Damato en Gulnara et Michela Sburlati en Medora, ce qui n’était déjà pas un cast des plus étoilés. Entendu en Malcolm à Lille en 2011, Bruno Ribeiro a pour lui un authentique physique de jeune premier et une jolie voix, alors encore un peu verte dans certains passages. La Gulnara de Silvia Dalla Benetta est une de ces coloratures agiles mais un rien stridentes, et un peu plus de sensualité dans la pâte vocale n’aurait pas été malvenu. Le Seid de Luca Salsi est tout à fait correct et n’a aucun mal à surclasser un Bruson hors d’âge. En revanche, Irina Lungu semble d’abord relever de l’erreur de distribution, avec des couleurs sombres de quasi-mezzo, un timbre voilé d’où n’émergent que des notes aiguës dont la justesse laisse à désirer : il faut croire qu’elle a dû énormément progresser depuis 2008 pour devenir « excellente » et « l’une des très bonnes Violetta actuelles », comme l’écrivait Jean-Marcel Humbert après l’avoir vue à Dijon et à Vérone l’an dernier. L’orchestre et les chœurs assurent dignement leur rôle ; ce Verdi-là ne leur demande d’ailleurs pas de prouesses particulières, en dehors de la jolie et brévissime tempête de l’ouverture.