C’est véritablement à la découverte d’un trésor oublié que nous invite Hervé Niquet avec le premier enregistrement jamais réalisé d’Andromaque. Après les représentations – en concert – du Théâtre des Champs-Elysées et de Bruxelles à l’automne, et avant d’être recréée scéniquement dans le cadre du festival Radio-France de Montpellier en juillet prochain, c’est au disque que l’unique tragédie lyrique de Grétry dévoile ses raffinements.
On connaît du compositeur français ses fantaisies comiques et ses tendres ariettes, à travers L’Amant jaloux (1778) ou La Fausse Magie (1775). On ne soupçonnait pas le talent avec lequel ce liégeois d’origine, devenu favori de la reine Marie-Antoinette, avait magnifié la violente tragédie de Racine. Rien n’est simple dans le palais du roi Pyrrhus : Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui s’est jurée de rester fidèle à son défunt Hector, et de protéger leur enfant Astyanax. A partir de cette histoire, condensée – mais à peine altérée – par le librettiste, Grétry imagine une partition extrêmement efficace, traduisant les méandres psychologiques des personnages, ne cédant jamais ni au majestueux ni à la virtuosité gratuite. Les airs vont droit au but, les récitatifs n’ennuient jamais : c’est brillamment réglé.
Etonnamment, la distribution n’est pas dominée par l’Andromaque de Karine Deshayes, mais plutôt par l’Hermione toute en nuances et en musicalité de Maria Ricarda Wesseling, très subtil mezzo-soprano. Son français est remarquable, et la clarté de son timbre en fait une touchante tragédienne, comme dans son air de vengeance du dernier acte « Quel spectacle cruel ! ». La voix s’envole, l’orchestre s’agite : c’est du théâtre autant que de l’opéra.
Karine Deshayes paraît alors un peu en retrait dans son rôle de veuve attristée, la faute à un chant un peu voilé mais aussi à une partition paradoxalement négligente à l’égard de son héroïne. Ce qu’elle perd en transparence, elle le gagne néanmoins en délicatesse et en émotion, notamment dans sa lamentation de l’acte II « Laissez-moi baigner de mes larmes », sommet pathétique de l’œuvre.
Les rôles masculins sont solidement tenus par le baryton Tassis Christoyannis (Oreste) et le ténor Sébastien Guèze (Pyrrhus). Le premier impressionne par sa tenue et sa belle profondeur : sa voix ne s’engorge jamais dans les graves et se révèle habile dans les aigus. Déjà distingué à Rouen en Figaro, le chanteur grec confirme ici son talent et notre envie de le voir davantage se produire en France. De son côté, Sébastien Guèze pêche parfois par un excès de théâtralité, rendant certaines de ses interventions agaçantes, sans pour autant détonner dans ce quatuor de haute volée.
Mention toute particulière au chœur qui participe à l’équilibre de l’ouvrage en formant véritablement le cinquième personnage de l’histoire. Observateur, parfois acteur, présent dans les lamentations comme dans les envolées tragiques, il délivre de superbes moments musicaux, notamment dans l’air de fureur d’Oreste « De tous nos rois secondez la colère » à l’acte I ou encore dans le final de l’acte III.
Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet accompagne harmonieusement le plateau, dans un parti pris très énergique – qui peut irriter, mais que l’on trouve judicieusement appliqué ici. Les interventions solistes sont réussies et inspirées, hautbois et flûtes en tête.
L’acquisition de cet enregistrement sera d’autant plus encouragée qu’il bénéficie d’une présentation luxueuse et de la riche documentation que constitue une somme d’articles universitaires, à la fois accessibles sur la forme et rigoureux sur le fond. Ils préciseront au lecteur d’aujourd’hui l’importance de Grétry – le « Mozart français » – dans le paysage musical du XVIIIe siècle, et la singularité d’Andromaque, audacieux pont entre baroque et romantisme.