L’intégrale des enregistrements studio de Maria Callas fait l’objet d’un nouvelle parution dans une nouvelle édition. Vraie plus value ou simple opération marketing ? Nous répondons ici à cette interrogation.
Dès les années 80, EMI proposait sur CD la célébrissime Tosca, puis petit à petit l’ensemble de la collection. En 1997, pour le 20e anniversaire de la mort de « la Divine », une nouvelle intégrale était disponible dans les bacs. En 2007, EMI en publiait une édition économique. Qu’apporte l’édition 2014 ? Pour le comprendre, il nous faut revenir sur le processus technique de réalisation original. Les sessions d’enregistrement ont été captées sur bandes analogiques. Souvent, plusieurs prises ont été faites pour arriver à un résultat optimal. Ces éléments ont été ensuite assemblés pour constituer une bande finale, la « matrice ». Cette matrice servait à réaliser les moules de pressage des 33 tours. C’est elle qui a été digitalisée et reportée sur une large bande vidéo dans les années 80, ce dernier support servant aux éditions des années 80 et 90. Ces deux éditions diffèrent essentiellement par les progrès en technologies numériques qui ont permis de mieux « nettoyer » les bandes la seconde fois que la première. Pour simplifier, la première édition CD de la Tosca n’était guère différente d’un 33 tours numérisé : les craquements en moins, mais sans dynamique nouvelle et avec un menu réduit à deux plages par disque. Cette matrice originale dont nous parlions plus haut a, par construction, plusieurs défauts. S’il faut terminer un acte à la fin d’une face, il conviendra d’augmenter la durée standard de celle-ci (25 minutes) : pour ce faire, les ingénieurs du son oblitèreront des fréquences graves pour avoir des sillons plus petits ; le montage des prises n’est pas nécessairement transparent, faute de matériel adéquat ; la présence de parasitage conduit à des mesures draconiennes : sifflement d’un microphone défectueux ? Suppression des fréquences aigus. Bruit d’un métro ou d’une Vespa ? Suppression des fréquences graves. Un bruit parasite dans l’exposition ? On colle à la place les mêmes mesures tirées de la reprise !
Pour cette édition les ingénieurs d’EMI sont cette fois revenus aux prises originales (pas nécessairement celles retenues pour la première matrice), prises par ailleurs généralement bien documentées (c’est ainsi qu’on sait pour la Vespa !). Ces prises ont été reportées avec des technologies plus modernes (on vous passe l’exposé sur les fréquences d’échantillonnage : tout est dans le livret d’accompagnement !) et remontées pour faire une nouvelle matrice. Un vrai travail de bénédictin car les supports sont fragilisés par le temps : les bandes peuvent donc casser à tout moment. Les « bidouillages » indispensables à la création de la matrice des 33 tours disparaissent : le montage est transparent ; les bruits parasites sont éliminés finement, sans impact audible sur la musique ; surtout, l’échantillonnage plus fin permet de mettre à jour des détails auparavant inaudibles et de redonner une nouvelle dynamique à ces enregistrements parfois vieux de plus de 50 ans.
Tout ça est bel et bon mais un tel travail est-il perceptible par le public courant ou bien n’est-il appréciable que par les audiophiles fortunés capables d’investir dans le matériel adéquat ? La bonne nouvelle, c’est que la plus-value de cette nouvelle intégrale est évidente même sur une chaîne de moyenne gamme, voire sur un auto radio (à condition qu’on ait l’oreille un tant soit peu fine). Nous avons testé en détail la première Norma et Manon Lescaut (les différences peuvent être moins prégnantes sur d’autres coffrets, en particulier les plus récents qui ont dès l’origine bénéficié de meilleurs techniques d’enregistrement) : comparée plage à plage à l’ancienne édition CD, la nouvelle version offre un spectre plus détaillé (quitte à entendre également quelques grincements de parquet au début de l’ouverture de Norma) ; les voix sont plus naturelles (et le timbre des premiers enregistrements de Callas plus proche de celui de ses enregistrements plus tardifs) ; la dynamique est dopée (par exemple, les coups de cymbales éclatent enfin) : les directions parfois un peu plan-plan de Tullio Serafin et Antonino Votto deviennent tout d’un coup plus vivantes. Cerise sur le gâteau, les plages sont plus généreuses et homogènes (ce sont les mêmes pour les deux Norma et pour les deux Lucia di Lammermoor). Un regret : seule une édition en SACD aurait permis de bénéficier de la totalité des apports techniques de ce travail.
Le coffret propose également le report des trois 78 tours édités par Cetra (dans ces tous premiers enregistrements, Callas chante l’entrée de Norma, la mort d’Isolde (en italien) et la folie d’Elvira). Là encore, le travail réalisé est particulièrement remarquable. Habituellement ce type de report détruit la dynamique originale en nettoyant excessivement les bruits de surface (qui n’a pas écouté les chanteurs « des années 78 tours » sur un vrai gramophone ne peut avoir idée de leurs vrais moyens). Ici, les ingénieurs ont choisi un compromis idéal : on entend certes légèrement le bruit de fond de l’aiguille sur le shellac, mais la dynamique est conservée.
Nous ne croyons pas utile de revenir sur la qualité artistique de ce legs inestimable. Nous renvoyons donc les lecteurs qui auraient encore des doutes aux cinquante dernières années de critique discographique !
Le coffret bénéficie d’une présentation de grande qualité : un bel album illustré décrit le projet et rappelle les détails de la carrière de Callas en particulier discographique ; chaque opéra fait l’objet d’un mini coffret cartonné reprenant la pochette d’origine, chaque CD étant individuellement dans une pochette papier.
A moins de 3 euros le CD, le coffret reste d’un prix très raisonnable et pourra tenter même les possesseurs de l’édition économique de 2007 désireux d’entendre la « vraie » voix de Callas. Un beau cadeau pour Noël … que l’on peut s’offrir à soi-même !