Pour son nouvel album, Patricia Petibon explore de nouvelles contrées. Deux extraits de zarzuela, des airs anonymes et un air de cour de Le Bailly donnent à entendre, dans un registre baroque qui n’est évidemment pas complètement nouveau, par son esprit, son orchestration et ses tonalités, une langue – l’espagnol – peu habituelle dans ce répertoire. José de Nebra (1702-1768), sans être un inconnu, est encore largement à découvrir, et l’on ne peut que se réjouir d’une rencontre qui met en perspective, sur ce disque, les airs de Vendado es amo, no es ciego et des extraits de Didon et Énée ou de King Arthur de Purcell, des Indes Galantes de Rameau, de Médée de Charpentier, des airs anonymes espagnols et français ou même une chanson traditionnelle (« J’ai vu le loup, le renard, le lièvre » – et non « la belette », comme l’indique la pochette).
Juxtaposition baroque, au sens premier de bizarrerie, ce recueil suscite tout d’abord un étonnement un peu dubitatif qui ne résiste pas longtemps au charme indéniable qui se dégage de ce pot-pourri, véritable olla podrida. Les ingrédients réunis mêlent aux éléments de base des épices et aromates qui en rehaussent la saveur. C’est le cas des notations folkloriques comme les castagnettes de « No se emenderá jamás », cantate espagnole de Haendel, ou encore les flûtes indiennes de l’air anonyme extrait du Codex Martinez Compañon, qui font écho à l’utilisation du tambourin dans les Indes Galantes et avec lesquelles rivalisent les inflexions de la voix de Patricia Petibon.
La circulation à travers les civilisations et les formes musicales, leurs parallèles et les caractéristiques propres à chaque langue, font de ce disque un voyage musical dont l’unité de temps est complétée par l’unité de sens assurée par la voix de la cantatrice tour à tour enamourée, passionnée, enjôleuse, moqueuse, toujours comédienne et souvent virtuose. Belle démonstration d’un amour du chant et de la musique qui transcende les frontières géographiques et de répertoire ! L’agilité de la voix n’est jamais prise en défaut, la richesse du timbre et l’aisance dans les graves comme dans les aigus ménagent des transports et des émotions mélancoliques qui alternent avec la gaieté et la sérénité, voire l’amusement.
Seule petite réserve : il ne faudrait pas que les effets de voix saisissants à la première audition (soupirs, sanglots, exclamations, notes soudainement détimbrées, exagérations phonétiques, voire cris dans certains airs folkloriques) tournent au procédé. L’art du phrasé que possède Patricia Petibon, sa diction exceptionnelle et la science des nuances qui est la sienne expriment avec plus de force encore des affects qui n’ont pas besoin d’être davantage soulignés.
Mais sans réserve aucune, il faut recommander ce Nouveau Monde à découvrir absolument : c’est un voyage haut en couleurs et un festin réjouissant !