Qu’il est doux de découvrir une œuvre qui confirme l’éminence d’un compositeur trop longtemps tenu dans l’ombre ! Un quart de siècle après la révélation de Titon et l’Aurore par Marc Minkowski, une autre partition lyrique ambitieuse vient rendre à Mondonville les honneurs qui lui sont dus. Quelle science ce violoniste déploie dans son écriture instrumentale ! Quelle saveur il donne à ses bergeries et, pour les récitatifs, quelle finesse dans l’expression des sentiments ! On comprend sans peine qu’il ait joui en son temps d’une gloire comparable à celle de Rameau : comme au Dijonnais, on lui reprochait de composer de façon trop savante, mais c’est précisément cette prétendue complexité qui séduit nos oreilles modernes. En 1742, Isbé ne connut qu’un très petit nombre de représentations, mais l’Académie royale de musique continua à accueillir les créations de Mondonville, jusqu’à l’échec en 1765 de son Thésée, sur le livret de Quinault mis en musique par Lully. On reste inconsolable en songeant que la musique de ses grands oratorios a été perdue : ces œuvres devaient lui permettre d’associer l’inspiration sacrée de ses admirables motets au souffle dramatique de ses pastorales héroïques.
Bien sûr, pour que ce joyau brille de tous ses feux, encore fallait-il réunir une équipe artistique à la hauteur des enjeux. Nous avions salué la prestation de l’Orfeo Orchestra lors de la parution récente des Grands Motets du même Mondonville : discrètement, sans faire de bruit, le chef hongrois György Vashegyi est en train de se tailler une place enviable parmi les chefs qui savent diriger la musique de cette époque. Ni emphase ni brutalité dans sa direction, qui parvient à mener l’entreprise à bon port, à travers les changements d’atmosphère qu’impose la succession des différents actes, après un amusant prologue où la Volupté, la Mode et l’Amour se disputent dans les jardins des Tuileries (tout un programme…). Le Purcell Choir nous avait ébloui par sa maîtrise de la diction française lors du concert « Un opéra pour trois rois » à Versailles : force est de réitérer les compliments formulés alors, tant cet ensemble vocal paraît chanter notre langue sans effort, alors qu’il s’agit incontestablement des fruits d’une préparation assidue.
Quant aux solistes, ils ont été triés sur le volet parmi les meilleurs interprètes actuels de ce répertoire, qu’ils soient francophones ou non. Avec le rôle-titre, Katherine Watson gagne ses galons d’authentique héroïne de tragédie lyrique. C’en est fini pour elle des bergerettes, et l’on espère retrouver bientôt dans d’autres personnages toute la noblesse qu’elle prête à Isbé. A ses côtés, Chantal Santon Jeffery fait montre de toute la diversité de son talent : voix charnue comme il sied à la Volupté du prologue, elle sait ensuite se faire virtuose pour l’air « Venez, petits oiseaux », que chante Charite, l’un des tubes de la partition, qui fut souvent repris par d’autres compositeurs. Dans de plus petits rôles, Rachel Redmond est un exquis Amour, tandis que Blandine Folio Peres prête à la Mode une voix corsée.
En matière de haute-contre à la française, Reinoud Van Mechelen est aujourd’hui l’un des quelques chanteurs devenus incontournables. S’il n’a pas l’hyper-expressivité d’un Mathias Vidal, son articulation du français a beaucoup progressé ces derniers temps et sa délicatesse convient au berger Coridon. Depuis plusieurs saisons, nous appelons de nos vœux la reconnaissance de l’immense talent de Thomas Dolié, dont une nouvelle preuve nous est donnée par son incarnation d’Adamas, le rival malheureux mais généreux qui assure le happy end en consentant à l’union d’Isbé avec celui qu’elle aime. Alain Buet complète à merveille cette distribution, où l’on entend aussi Artavazd Sargsyan et un ténor issu du Purcell Choir dans le trio des Hamadryades.